Histoires d'ogres : troublante fiction inspirée d'horribles réalités

Dans Histoires d’ogres, Katia Gagnon raconte d’une part, l’histoire de Jade, une jeune mère qui consomme du crack qui se voit enlever la garde de sa fille et qui se prostitue pour payer ses doses, de plus en plus substantielles pour oublier la perte de son enfant. Puis, d’autre part, de Stéphane Bellevue, un pédophile meurtrier, en libération conditionnelle.

Le personnage de Stéphane Bellevue est clairement inspiré de Mario Bastien. Son crime et son enfance ne semblent faire qu’un avec celui qui a fait la manchette il y a quelques années. On devine aussi une version romancée de Pierre-Hugues Boisvenu en Jean-Pierre Nadeau, un père qui fonde un organisme pour venir en aide aux familles de victimes de meurtres et d’enlèvement, qui tentera de faire changer les lois sur le processus de libération conditionnelle. Il est difficile de faire abstraction de la réalité qui est derrière cette fiction.

On tourne les pages les unes après les autres à un rythme rapide, malgré l’horreur de ce qu’elles contiennent. Voyeurisme? Je ne sais pas. Pour ma part, je voulais savoir, comprendre et confirmer certaines hypothèses que j’avais élaborées autour de ce genre de criminel. Dans une autre vie, j’ai été sexologue et je me suis toujours intéressé aux facteurs qui mènent un être humain à avoir des pulsions meurtrières, à perdre pied et basculer de l’autre côté de la ligne, fine la plupart du temps, qui sépare les idéations du passage à l’acte. Sans offrir de réponses, car cela est impossible pour l’auteure de le faire, Histoires d’ogres, par l’entremise des recherches de la journaliste Marie Dumais, dresse le portrait de ce qu’a été le berceau de Stéphane Bellevue. Je vous rassure, elle n’excuse pas, elle expose les faits. Les aligne, tente de comprendre.

Dans toute l’histoire de l’agresseur sexuel et meurtrier, la journaliste découvre des failles dans le système de protection à l’enfance. Bellevue n’aurait pas bénéficié du suivi dont il aurait dû faire l’objet. Même chose en ce qui a trait au système de libération conditionnelle. Sans porter de blâme, Katia Gagnon soulève des questions que l’on doit, comme société, non seulement considérer, mais auxquelles on doit trouver des réponses et poser des actions concrètes.

Je tiens à noter qu’il serait faux de croire que Stéphane Bellevue soit le seul ogre de l’histoire. Les ogres prennent plusieurs visages. Par définition, un ogre est un « Personnage des contes de fées représenté comme étant un géant affamé qui raffole particulièrement des petits enfants [1]». Mais si vous substituez « petits enfants » par « personnes vulnérables », on constate qu’il y en existe beaucoup plus qu’on ne le croit. Par exemple, Phil et Prof, qui s’occupent de l’hôtel de passes en sont également.

À travers tout ça, pour s’évader du dur travail qu’elle fait, Marie Dumais lit beaucoup. Elle se rend régulièrement à la librairie de son quartier et il se tissera une complicité avec le nouveau propriétaire des lieux. C’est un joli clin d’œil aux librairies indépendantes qui offrent un service, pour la plupart, un service personnalisé. Mais surtout, cela permet au lecteur de faire une courte pause de ces histoires sordides, et de poursuivre sa lecture.

Katia Gagnon a l'écriture aussi juste que dans La réparation. Jamais dans le sensationnalisme, on sent son désir de comprendre, de présenter l'histoire avec neutralité, ce qu'elle réussit tout comme elle arrive à nous émouvoir, choisissant les bons mots, le bon rythme.

C'est un livre troublant, tournant les projecteurs sur des écorchés vifs, des êtres vivement malmenés par la vie. Il est bouleversant d’autant plus que nous ne possédons pas les réponses pour éviter que certains deviennent des ogres et d’autres, leurs victimes. Aussi parce que l’on sait très bien que la réalité dépasse la fiction.



[1] Antidote 8, Druide Informatique Inc.

Yannick Ollassa / La Bouquineuse boulimique

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