L'ultime reprise de pouvoir sur sa vie

Camille vient d’apprendre qu’elle a un cancer généralisé. Il la mènera inévitablement à la mort. Elle a essayé la chimiothérapie palliative afin de prolonger sa vie, mais sa qualité de vie s’est trouvée grandement diminuée, voire inexistante. Elle a donc décidé de cesser les traitements. Elle n’a pas le choix de mourir, elle le fera donc selon son entendement.

À l’orée de sa mort, Camille pose un regard sur sa vie, se promenant entre le passé et le présent, comparant sa relation avec Mathias et celle avec Jacinthe. On avance au fil des réflexions de la quadragénaire, au cœur de son esprit troublé par l’étape qui s’impose à elle. Il y a quelques répétitions, mais somme toute, l’exercice est authentique. On découvre qu’enfant, Camille vivait dans l’ombre de son petit frère, Bernard. Il était le seul qui trouvait grâce aux yeux de leur mère. À dix ans, Bernard est mort dans un accident. À partir de ce moment, Camille a redoublé d’ardeur pour plaire à sa mère, lui faire oublier que le bon enfant est mort et qu’il ne lui restait qu’une fille dont elle ne savait que faire. 

Certains passages sont lancinants, inconfortables. Ils traduisent la colère, le rejet, le ressentiment et l’amertume qu’éprouve Camille. D’autres sont d’une grande beauté et expriment la libération et le bonheur.

Devenue adulte, elle a marié à son meilleur ami de jeunesse, Mathias, qu’elle croyait aimer. Ce dernier convenait aux exigences maternelles. Avocat prospère accro au travail, il avait les revenus nécessaires à acheter une belle maison et à leur assurer un statut social enviable. Le couple a eu une fille, Jade-Anaïs, le rayon de soleil dans la grisaille ennuyante de la vie de Camille. La petite vie rangée, calme et prévisible qu’elle mène avec son mari absent l’étouffe. Cette passionnée d’art est mal dans son existence comme on l’est dans des vêtements étriqués.

Puis, elle découvre la passion amoureuse sous des traits qui sont loin de convenir à sa mère. Du coup, elle quitte Mathias pour une relation et une vie épanouissante. Jusqu’à ce fameux diagnostic. Encore une fois, quelque chose lui est imposé dans la vie. Encore une fois, elle se sent impuissante. Ce cancer, un peu comme sa mère, tente de la faire se conformer à sa volonté. Mais ce corps qui l’a trahi n’aura pas le dernier mot. Plutôt que d’attendre docilement la mort, elle choisira quand et de quelle manière la vie la quittera. Plus que tout, Camille souhaite transmettre à sa fille l’importance de cesser de donner aux autres du pouvoir sur nous. Si l’on ne décide pas toujours ce qui se présente dans notre vie, on choisit, consciemment ou non, la façon dont on y réagit.

Parfois, qu’on le veuille ou non, il faut décanter avant de rédiger une chronique. J’ai terminé La trahison des corps il y a près de trois semaines. Or, je n’arrivais pas à ouvrir l’ordinateur et écrire ce que j’en pensais. J’étais bloquée. En toute honnêteté, je dois vous dire qu’au moment où je lisais le roman de Stéphanie Deslauriers, un proche venait de recevoir un diagnostic de cancer. Ça coïncidait avec une recrudescence des douleurs chroniques avec lesquelles je vis. Durant ces périodes, on est davantage susceptible de retomber dans la colère et le sentiment d’injustice, comme les sentiments qui transpercent les pages de ce roman. C’est un endroit où je me permets rarement d’aller. Parce que c’est retourner en arrière. Parce qu’il n’en sort rien de bon pour moi. C’est ainsi, il faut faire avec et vivre le mieux possible. Cela a donc été une lecture que j’ai faite petit bout par petit bout. Ça m’a pris plus de deux semaines avant d’écrire ces lignes.

Le ressentiment de Camille me dérangeait. J’aurais voulu qu’elle soit plus loin dans son processus de deuil, mais quand tout va si rapidement, ce n’est simplement pas possible. J’ai dû la prendre où elle était, même si cela me causait de la frustration. C’est une des preuves que l’auteure a su rendre les sentiments propres à ce genre de situations. Pourquoi je partage cela avec nous? Pour vous démontrer que ce n’est pas parce qu’un livre nous dérange, que certains passages nous énervent, qu’il n’est pas bon. Le message transmit est important, l'ensemble est troublant, touchant. C'est ici un parfait exemple d'un mal qui fait du bien. Un roman honnête, vibrant, bouleversant.


La trahison des corps est une ode à la vie, à la nécessité de reprendre le pouvoir sur sa vie et de la mener telle qu’on l’entend.

Yannick Ollassa / La Bouquineuse boulimique

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