Poutine pour emporter


Chaque étape de la vie a une crise associée. Celle de la vingtaine n’est pas moins importante que les autres. Si elle est gérée de manière constructive, avec des prises de consciences et de décisions claires qui mèneront sur des actes concrets, voilà l’individu en possession de nouvelles bases qui lui permettraient de mener une existence plus satisfaisante. Si ce n’est pas le cas, il se retrouvera pris dans des schémas répétitifs qui ne pourront que mener à l’aigreur, le ressentiment, le cynisme.

Pour Fred, 27 ans, la vie n’est tout simplement pas ce à quoi il s’attendait. Petit gars de Rimouski qui est partie à Montréal surtout pour fuir sa famille, Fred est, selon ses propres termes un chokeux. Le genre de gars qui a trop peur d’être heureux, t’sais. Un gars qui se fuit, qui en veut à ses parents de l’avoir éduqué de façon à se contenter de ce qui passait (même s’il avait l’esprit de compétition au soccer). Il abrite une haine particulière pour sa grand-mère, un peu dévote, qui régnait sur la famille.

Rien ne semble vraiment tourner pour lui. Il est de retour à Montréal après un peu plus d’un an à bosser en banlieue de Paris. Son contrat a pris fin abruptement, après des suppressions de postes au sein de l’entreprise pour laquelle il travaillait. Ici, il n’a plus d’appart, plus de bien, plus d’emploi et n’arrive pas à en trouver un nouveau. Pour s’occuper, sans grand enthousiasme, il décide de faire une maîtrise en administration des affaires. Puis, à la dernière minute, il décide d’aller passer quelques mois en Colombie, histoire de se trouver… ou de se perdre un peu plus.

Armé de son sac à dos surchargé – comme moi, il ne sait voyager léger –, il se promène dans le pays, faisant des rencontres qui lui rappelleront son ex qui l’a quitté 8 ans plus tôt. Cette dernière hante encore sa vie et depuis, il est incapable de s’engager amoureusement. Il aura quelques aventures qui, bien qu’éphémères, le marqueront. Lors de ses séjours dans les auberges de jeunesse, il se liera avec d’autres jeunes de son âge tout aussi désillusionnés que lui. Ensemble ils bourlingueront et feront beaucoup la fête, alcool, drogue, etc. Alors qu’il participe à un à des festivités, il prend conscience qu’en voyage, loin du quotidien et des gens qui nous connaissent, on peut être qui on veut. On peut se réinventer et personne ne sait ce qui est vrai du faux, puisque personne ne nous connaît. On met le masque qu’on veut, à l’instar d’un carnaval. L’exercice peut permettre d’apprendre à mieux se connaître, mais pour Fred, cet effet aura été très limité, malheureusement. Il passe plus de temps à se questionner sur les comportements en entreprise, à établir des théories et à se plaindre des différences entre les générations, les « les vieux disent que les jeunes sont... », « mais les vieux eux sont… » Pas très constructif tout ça. Suffit les lamentations!


Poutine pour emporter, c’est un portrait d’horizon d’une certaine vingtaine où Fred ne creuse pas en profondeur la raison de son mal-être. Les responsables sont ses parents, ses patrons. Tous sauf lui. Cette espèce de déresponsabilisation que l’on vit à l’adolescence et au début de l’âge adulte où tout le monde sauf nous est responsable de ce qui ne nous convient pas. État qui dure jusqu’à ce qu’on se rende compte qu’on est adulte et qu’il n’en tient qu’à nous de nous définir et de faire de notre vie ce que l’on veut qu’elle soit. Bon, Fred n’est pas arrivé encore à ce stade à 27 ans. Peut-être n’y arrivera-t-il jamais. Quoique son ami Tariq et sa copine Viviana seront peut-être d’une bonne influence sur lui. Je lui souhaite! À cet âge, il faut en revenir et se prendre en main, que diable! Je crois malheureusement que Fred continuera à sillonner le monde en espérant trouver l’herbe plus verte chez le voisin. Dommage.

Fred est un être qui semble profondément mélancolique et qui, je le suspecte, ne sera jamais vraiment heureux ou satisfait dans la vie. Il fuit tout le temps et ne cherche pas réellement à aller à la racine du problème pour le régler. Il souhaite trouver un endroit où il serait mieux, alors qu’il n’y en a pas. Mais ça, j’imagine qu’il le conscientisera quand il sera plus vieux. En cela, c’est assez conforme à la réalité de la mi-vingtaine. S’il est une chose dont il est forcé de conscientiser, c’est que le workaholisme la rapidité, l’incapacité de prendre le temps, cette impatience de toujours vouloir être rendu plus loin, plus haut, pourraient nuire. Il essaie de profiter du moment, mais a beaucoup de mal à le faire.

Ça m’a pris un temps certain à saisir l’intention de communication de l’auteure. Bien que je ne lise rarement les quatrièmes de couverture une fois qu’un livre a trouvé son chemin dans ma bibliothèque pour mieux me laisser emporter par la lecture au fur et à mesure, comme on découvre un mets choisi dans un menu écrit dans une langue étrangère, je ne peux m’empêcher après un certain nombre de pages, de me demander ce que l’auteur a voulu nous dire, nous transmettre. Dans certains cas, c’est rapidement évident. Dans d’autres, comme Poutine pour emporter, ça ne l’est pas. Peut-être est-ce à cause des nombreux rapprochements entre la vie et certaines théories de gestion d’entreprise, ou encore le domaine de l’emploi. Marie-Eve Gosemick est diplômée en administration des affaires et elle explique donc la vie avec ce qu’elle connaît le mieux. J’avoue que les passages portant sur l’emploi, les stratégies administratives m’ont un peu désarçonnée. Elles ne sont pas sans intérêt et sont assez justes, mais elles m’ont interloquée. Et pourtant, j’ai été responsable de service des stages et du placement étudiant dans un Cégep, donc, je ne suis pas totalement perdue dans ce domaine. Cependant, ça me donnait parfois l’impression de déshumaniser l’expérience humaine. En fait, c’est probablement tout indiqué pour Fred, puisque ça le maintient à distance de lui-même.

On ressort de la lecture avec quelques idées en tête. Premièrement, il faut prendre son temps maintenant, parce que sinon on devra le faire plus tard, alors que ce sera plus lourd de conséquences. Deuxièmement, le sens que l’on donne au travail dans nos vies est trop grand. Nos existences tournent autour de l’emploi que l’on occupe. Or, il y a bien d’autres choses dans la vie. Un roman qui parlera beaucoup à ceux qui sont dans la vingtaine. Pour moi, c’était il y a longtemps. Je reconnais une certaine réalité que j’ai vécue, jadis. Maintenant, je suis ailleurs… heureusement! ;-)

Yannick Ollassa / La Bouquineuse boulimique

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