Une incursion dans l'esprit d'un tueur

Curiosité, trouble, déstabilisation, colère, haine, incrédulité sont les sentiments qui nous habitent tout au long de la lecture ce roman inspiré de la vie de Edmund Kemper, un tueur en série qui sévissait aux États-Unis durant les années soixante et soixante-dix.

Tout comme Kemper, Al Kenner est un adolescent de 15 ans au quotient intellectuel supérieur à celui d'Einstein et à la taille gigantesque de 2,20 mètres. Enfant troublé et castrée par une mère qui méprisait les hommes, Kenner se retrouve chez ses grands-parents paternels, puisqu'aucun de ses géniteurs ne veulent vivre avec lui. Malheureux, troublé, il commence à démontrer des signes de psychopathologie assez tôt. 

Un jour, après que son grand-père lui ait offert une carabine pour qu'il puisse éliminer les lièvres et autres rongeurs qui s'attaquaient au potager, Al en a assez et tout d'un coup, abat sa grand-mère, avec laquelle les relations étaient tendues. Elle aussi castratrice, elle est une extension de sa mère et il se doit de l'éliminer s'il veut être libre. Cependant, il y a un problème. Son grand-père, qu'il aimait tout de même bien, vient de rentrer à la maison. Pour ne pas le faire souffrir de la perte de sa femme, il l'abat également.

Maintenant libre, Kenner se met à sillonner les routes de la Californie en voiture, puis en moto. À cette époque, il était fréquent que les jeunes des petits bleds sachent déjà se servir de ces véhicules. Il faut bien se le rappeler, sinon, ça semble une incohérence. Kenner roule quelques jours, profitant d'une liberté qui lui a trop longtemps été refusé. L'ironie de la situation est que malgré son désir de liberté, il est mal lorsqu'il l'exposition aux grands espaces se prolonge. Il se rend à la police et il serait presque heureux s'il avait la possibilité de ressentir de telles émotions. 

Jugé inapte à subir un procès et vu son jeune âge, il est interné dans un hôpital psychiatrique où se trouvent plusieurs meurtriers. Son physique imposant lui épargne les mauvais traitement. De ce lieu, ainsi qu'à sa sortie, il observe une société dont il ne s'est jamais senti faire partie et ne comprends aucunement. C'est l'époque de la Guerre du Vietnam, qui est également celle de l'apogée des mouvements hippies et pacifistes aux États-Unis. Il sortira au bout de quelques années et tentera de maîtriser les voix de son ombre, pour vivre en société. Un défi de taille.

La citation de Cioran «Être, c'est être coincé», en début de livre, décrit avec exactitude ce que vit Al Kenner le personnage principal. Pour lui, la vie n'a jamais été rien d'autre qu'une succession d'emprises que l'on a exercé sur lui. Celle de sa mère, de sa grand-mère ainsi que celles des pulsions, ou voix, qui sourdent du plus profond de son être.

La narration à la première personne, lorsqu'il s'agit de chapitres dédiés au passé et à l'adolescent, permet de rapprocher le lecteur de Kenner. Bien sûr, on sent très rarement de l'empathie pour lui, mais cela évite de déposer le livre. C'est que l'on est constamment dans les pensées de cet individu clairement et irrémédiablement dérangé. Une narration plus détachée aurait nuit à la compréhension des facteurs en jeu. Puis, lorsqu'il s'agit de Kenner à l'âge adulte, la narration passe à la troisième personne. Cela permet une vision plus froide, plus dégagée du personnage qui y est indéniablement détestable.

Tout le long du roman, Dugain met en scène l'opposition entre la liberté et la nécessité de se battre pour la préserver, pour éviter le cahot. Qu'il s'agisse de l'opposition à la Guerre du Vietnam, du mépris de Kenner pour le mouvement hippie qu'il juge en quelque sorte amoral, utopiste et insensé, ou de la lutte intérieur du tueur, ce thème est répété tel un leitmotiv.

Un roman sur une Amérique qui cherche le chemin vers le juste milieu, mais qui, malheureusement, ne le trouvera probablement pas. 

Mon appréciation : ****

Avenue des Géants
Marc Dugain
Gallimard
Papier : 33,95$ / 21,95 €
Epub et PDF : 29,99 $


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