Le poids des apparences


Après le succès fulgurant de La liste de mes envies, Grégoire Delacourt publie La première chose que l’on regarde, un roman bien différent.

Certes, l’humour particulier de l’auteur est toujours présent. Son style est à peu près identique. Toutefois, l’histoire de base est absolument rocambolesque. Arthur Dreyfuss, fanatique des gros seins et aussi mécanicien âgé de vingt ans de son état, se la coule douce un soir en regardant un épisode des Soprano. Il a sorti ses habits de circonstance, soit un caleçon des Schtroumpfs et des Marcel — rien de plus séduisant. C’est alors qu’on frappe à sa porte. Ne faisant pas cas de son accoutrement, il ouvre et découvre nulle autre que Scarlett Johannson. Dans un bled comme Long, est-ce possible? Bled ou tout le monde ressemble un peu à quelque vedette. Apparemment, oui! La demoiselle est en tournage et essaie de trouver un refuge chez un habitant du coin, dans une tentative de fuir un peu sa célébrité.

Après une vie absolument horrible — sa petite sœur a été dévorée toute crue par le chien du voisin, son père a quitté un jour, pour ne plus jamais revenir et sa mère a sombré dans l’alcool grave, au point d’en perdre la raison — son rêve se réalise. Scarlett Johannson est bien chez lui, où elle reste plusieurs jours. C’est la prémisse du roman : une personne ordinaire peut vivre des choses extraordinaires.

Au-delà des espérances de Dreyfuss, Scarlett Johannson est charmée par lui et lui par elle. Au fur et à mesure que les jours passent, les deux deviennent amoureux. Qu’est-ce qui lie ces deux individus? Ce sont deux écorchés vifs. On peut se questionner à savoir à quel point il s’agit d’amour. N’est-ce pas plutôt l’attachement au rêve d’une autre vie que cette personne pourrait nous procurer? Pas matériellement, mais affectivement.

C’est un peu une espèce de fantasme du mec paumé, beau (il semblerait qu’il ressemble à Ryan Gosling, « en mieux »), mais ordinaire, qui rencontre une vedette (ici son sosie) qui tombe s’entiche de lui.

Vous avez compris que l’auteur traite de l’apparence. À quel point celle-ci peut emprisonner le propriétaire de ce joli corps. La lourdeur de n’être apprécié que pour nos caractéristiques physiques. Et que ce faisant, la personne se retrouve en quelque sorte dépouillée de sa personnalité, les gens s’arrêtant seulement à ce que l’on voit en premier. Le corps. Delacourt tente de nous faire comprendre que parfois, nous sommes mieux avec une plastique ordinaire qui ouvre la porte à être aimé, ou non, pour ce que l’on est vraiment.

L’utilisation de référence aux vedettes hollywoodiennes pour décrire le physique des personnages est dans tout le livre. Elle permet de soutenir que l’on juge selon la beauté ou son absence. De même, on cherche un repère connu pour catégoriser l’individu qui est devant nous. Ici, ce point d’appui, vous l’avez saisi, est les célébrités américaines. Pourquoi américaines? Peut-être parce qu’elles représentent pour plusieurs le summum du culte de l’apparence. Bien sûr, si l’on ne décèle pas les raisons de ces références, le name dropping peut être dérangeant.

Sinon, cette histoire d’amour vite vécue (on sait dès le départ que cela se terminera tragiquement) est divertissante. Légère par moments, parfois attendrissante, mais aussi troublante.


Yannick Ollassa / La Bouquineuse boulimique


Commentaires

Messages les plus consultés de ce blogue

Qimmik

Désir noir : histoire d’un féminicide

Mémoires d'un expert psychiatre