De la cruauté de l'homophobie

Le roman autobiographique d’Édouard Louis, sorti en France en janvier dernier, a beaucoup fait jaser. Et avec raison. Le récit de son enfance dans un petit village ouvrier de Picardie est bouleversant.

Eddy Bellegueule grandit dans un milieu ouvrier, fortement défavorisé, non seulement financièrement, mais disons-le, intellectuellement et psychologiquement. À cause de ses manières, efféminées, de sa voix fluette, de son peu d’intérêt pour les sports, Eddy Bellegueule subit des violences de la part de presque toutes les personnes qu’il côtoie. Ces attaques ne sont pas seulement physiques, mais il est la cible des pires des violences, soit verbales et psychologiques.

Chacune de ses journées est saturée d’incidents d’intimidation. Il se fait insulter, cracher dessus, rosser. Son quotidien est un enfer. L’homophobie dont il est victime, avant même d’être lui-même assuré de son homosexualité, génère le rejet et l’isolement.

Après avoir vainement tenté deux fois d’entretenir des relations amoureuses avec des filles, pour semer les doutes, il opte pour une nouvelle stratégie. Celle-ci se résume en cinq mots, un leitmotiv, « je dois devenir un dur ». Il se fait alors violence lui-même afin de correspondre à l’image que son entourage se fait d’un homme. Un mâle, c’est agressif, intimidant, coureur de jupons. Il va même jusqu’à tenter d’entretenir des relations amoureuses avec des filles. Alors que toutes ses tentatives pour se conformer et pour vivre une vie « normale » ont échoué, il ne lui reste qu’une solution : la fuite.

L’histoire, racontée avec une grande sensibilité, nous présente la banalisation de la violence masculine. C’est ÇA, être un homme. De plus, lorsque son père cesse de travailler à cause de problèmes de dos, celui-ci projette son sentiment d’échec à son rôle d’homme pourvoyeur sur son fils, ce qui exacerbe la violence qu’il lui fait subir du fait de ne pas être le parfait portrait d’un homme, de ne pas être un dur. À certains moments, il s’agit carrément de la cruauté. On est à la fois peinés et révoltés de lire que c’est encore comme ça que réagissent trop de gens devant la différence.

En finir avec Eddy Bellegueule est le regard d'un survivant sur sa blessure, avec quelques années de recul. Sans mièvrerie ni tentative de vengeance. C'est un état des lieux, un partage de vécu, mais surtout la vérité sur la pauvreté d'esprit et la cruauté de certains humains, de certains milieux. Je dirais même, sur la barbarie. Narré à la première personne, ce touchant récit pourrait être celui de bien d’autres. Des Eddy Bellegueule et des individus comme ceux de sa famille, de son village, il y en a malheureusement trop. D’ailleurs, il y a quelques semaines, un jeune homme de 21 ans s’est donné la mort en France. Ses parents voulaient l’exorciser pour le « guérir » de son homosexualité. Cette lecture frappe fort. Ça donne des frissons dans le dos. Ç'aurait pu être Édouard Louis. Mais Édouard Louis a trouvé sa porte de sortie. Il a quitté sa famille et son milieu d'origine pour de bon...



 Yannick Ollassa / La Bouquineuse boulimique


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