Dans le jardin de l’ogre
Adèle est mariée à Richard. C’est une union tiède qui, de prime abord, ressemble davantage à un arrangement d’affaires qu’à une histoire d’amour. Pour Richard, Adèle a accepté d’avoir un enfant. Elle, elle n’en voulait pas particulièrement. Mais après des années, elle a cédé. À l’étroit dans son rôle de mère qui l’oblige à prendre soin d’un autre être alors qu’elle peine à s’occuper d’elle-même, elle sent peu de lien avec son fils, qui est pour elle plutôt gênant. Professionnellement, la journaliste travaille fort pour un salaire ridicule. La vie d’Adèle est loin d’être satisfaisante. Elle a l’impression de mourir de cette monotonie.
En fait, cette existence routinière camoufle quelque chose. Adèle mène une double vie. Elle a deux téléphones portables et deux ordinateurs portables, cachés. C’est qu’elle cumule les rencontres charnelles, enfile les amants comme certains des perles sur un collier, à la différence que pour elle, ces partenaires ne sont pas précieux. La plupart du temps, elles les méprisent. Ils sont là pour combler un vide. Pour lui permettre de se sentir en vie. Car le seul moment où elle se sent vivante, c’est lorsqu’elle perçoit dans les yeux des hommes le désir qu’ils ont pour elle. Elle choisit des mecs qu’elle ne reverra pas, pour la plupart. Le contraire serait trop problématique. Elle en a besoin plus que de l’air qu’elle respire. Elle doit se retrouver avec un homme, sa peau contre la sienne, son sexe dans le sien, ses mains qui pétrissent sa chair, qui la meurtrissent, de préférence. Adèle est atteinte de dépendance sexuelle. Elle essaie de résister. Passe parfois une semaine sans rencontres illicites, mais rarement plus. Elle en est incapable. L’appel est trop fort.
Un de mes travaux de session à l’université portait sur la dépendance sexuelle. Un phénomène certes complexe. Ces temps-ci, de plus en plus de gens l’invoquent pour justifier leur infidélité, mais il ne s’agit pas de cela. Dans le présent roman, Leïla Slimani décrit avec justesse à quel point ce trouble peut nuire à l’individu, qui ne prend pas souvent réellement plaisir dans la sexualité. Pas de la façon dont on le conçoit.
La voix d’Adèle est celles que j’ai entendues à quelques reprises. Elle exprime les mêmes souffrances, le même sentiment d’être piégée dans un engrenage dont elle ne sait plus se sortir seule. Elle est trop loin dans le cycle de la haine de soi (et des hommes avec lesquels elle baise) et dans son processus d’autodestruction, qui à leur tour rend « nécessaire » le passage à l’acte, la compulsion sexuelle. Celle-ci ayant pour but de soulager l’anxiété causée par la dépendance. Bien sûr, la durée de l’apaisement est de plus en plus courte et il lui faut rapprocher les conquêtes, modifier les pratiques, prendre plus de risques.
Adèle réussira-t-elle encore longtemps àcacher son autre vie à son mari? À quel prix?
C’est si bien écrit que j’ai terminé ma lecture après quelques heures. Un roman fascinant!
Yannick Ollassa / La Bouquineuse boulimique
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