Pardonnable, impardonnable
Parfois, la somme des secrets des membres d’une famille est ce qui la consolide dans un équilibre précaire. Un événement, quelle qu’en soit la taille, a le pouvoir de faire s’écrouler la cellule familiale. Comme un jeu de domino, les secrets et les mensonges tombent l’un après l’autre, jusqu’à ce que la structure soit démantelée.
Lorsque Milo, 12 ans, est victime d’un traumatisme crânien en faisant une course à vélo, il se trouvera au centre des débris familiaux. Autour de lui, sa mère, son père, sa tante et sa grand-mère tenteront de faire face à son état et aux dégâts affectifs que l’accident a révélés. La toile tissée de mensonges et d’omissions se déchire, laissant la famille dans un état de ruines.
Ils se sont tus pour sauvegarder les apparences, pour acheter la paix. Mais cela n’est qu’un mirage, car quand on achète la paix avec un autre, on se déclare la guerre. Sous les apparences de bonne entente foisonnent colère et ressentiment. On devient porteur d’une bombe à retardement. La destruction est programmée, sans que l’on sache comment et quand elle aura lieu.
La découverte des méprises pose une question : les faits reprochés sont-ils pardonnables ou impardonnables? La recomposition de la famille dépend de la réponse à cette question; seuls les gens ayant commis des actes pardonnables pourront faire à nouveau partie du clan.
Pardonnable, impardonnable est un roman choral dans lequel la voix de chaque personnage s’ajoute à celle des autres pour lever un pan du voile qui couvre leurs plaies purulentes. Ils s’adressent tous à un autre, dans leur tête plus qu’à vive voix, encore accrochés à leurs vieux mécanismes de fonctionnement. Valérie Tong Cuong entretient brillamment le mystère. Le lecteur découvre l’étendue des dégâts, page après page, personnage après personnage. Elle décrit admirablement les conséquences des relations parent-enfant, des non-dits. C’est l’histoire des secrets, de la jalousie, de la rancœur, des abus, de drames tenus sous silence, cachés. Puis il y a cette manie de vouloir blâmer l’autre, de désigner un coupable et, donc, de se poser en victime! De ne pas se remettre en question, de ne pas être « dans le tort ». Cette façon manichéenne de concevoir la vie, les relations. L’un a tort, l’autre a raison. Noir ou blanc. Aucune zone de gris.
Cette famille, ça pourrait être la nôtre. Pas besoin de s’agir de gros secrets pour que les non-dits minent les relations. Combien de couples, de familles se disant « tissées serrées » taisent des insatisfactions? N’osent pas se parler pour maintenir l’illusion de la bonne entente. Parce qu’on ne sait pas comment se parler. Parce qu’on a peur d’être culpabilisé. Parce qu’on a trop peur de perdre, de souffrir.
De façon intéressante, le roman décrit en quelque sorte la courbe du processus de deuil qui se joue à divers degrés lorsque l’équilibre de notre vie est perturbé : choc, déni, colère, tristesse, acceptation et reconstruction. Car de la douleur, naît l’espoir. Valérie Tong Cuong démontre qu’il est possible de se reconstruire, par la remise en question de notre rôle dans la dynamique, la mise à jour des zones d’ombre et le pardon. Des autres, mais aussi de soi.
Un roman comme je les aime, où tout est dans la psychologie des personnages.
Yannick Ollassa / La Bouquineuse boulimique
Chronique sur L'atelier des miracles, paru en 2013
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