D'après une histoire vrai, de Delphine de Vigan

Après le succès considérable de Rien ne s’oppose à la nuit, un roman très personnel qui raconte la vie de l’auteure avec sa mère atteinte de bipolarité et suicide de celle-ci, Delphine de Vigan a vécu une période de passage à vide. Pendant deux ans, elle n’a pas été capable d’écrire une seule ligne. Le fameux syndrome de la page blanche puissance mille. Une fois la période passée, l’auteure revient sur ce moment difficile et sur ce qu’elle estime en avoir été la cause.

À cette époque apparaît dans sa vie L., une auteure fantôme rencontrée lors d’une soirée chez une connaissance commune. Cette rencontre fortuite s’est développée en une relation très serrée qui petit à petit devient malsaine. Jour après jour, L. s’est immiscée dans la vie de Delphine de Vigan, à force de compréhension, de gentillesse, d’attention. L. récolte des informations sur sa proie, la fait parler, lui pose de nombreuses questions, se livre peu. L’auteure est impressionnée et envoûtée par L., une femme intrigante et étrange à la fois. Mystérieuse, elle se livre peu. En toute occasion, L. contrôle ses émotions, ses réactions, ses mouvements, son image, hormis pour quelques instants où elle se trouve en proie à des crises de colère impressionnantes. Mais ça n’arrive que tard dans la relation, alors que celle-ci est bien installée, que l’emprise de L. est implantée, que ses serres entourent sa proie.

Au même moment, de Vigan reçoit des lettres haineuses envoyées par une personne qui se dit membre de la famille, l’accusant d’avoir sali sa famille avec son dernier. Ces missives plongent l’écrivaine dans un profond malaise. Intimidée, elle a perdu le peu de confiance qu’elle avait en elle. Peu à peu, alors qu’elle sombre dans une dépression invalidante, Delphine de Vigan lui cède un considérable pouvoir sur sa vie.

Au début, cet espèce de Misery à la française a un ton qui frôle presque la plainte, du genre « pauvre petite moi », puis cela s’atténue et le récit devient un suspense intense dont certains passages ne sont pas sans rappeler le film Single white female, de Barbet Shrœder. On trépigne, on s’énerve… Parfois on se demande comment il se fait que certains événements, certaines paroles ne l’alarment pas. Puis on se souvient qu’elle était alors dans un état de vulnérabilité. Que lorsqu’on est impliqué, il est difficile d’avoir le recul nécessaire à se prémunir de tels manipulateurs.

Delphine de Vigan soulève ces questions : qu’écrit-on après un roman qui a remporté un succès monstre? Celui qui suivra sera-t-il à la hauteur du précédent? Est-on condamné à cesser d’écrire, ayant atteint l’apogée, ayant écrit lelivre de notre carrière? La réflexion sur le réel vs la fiction dans la littérature se révèle également fort intéressante. L. soutient qu’il n’y a que le réel qui importe. Pour sa part, de Vigan estime que dès que l’on écrit, on est dans la fiction. On peaufine, modifie les événements, les perceptions, les lieux, etc. Ce différend est au cœur de l’impuissance de de Vigan, qui a le sentiment de décevoir L. en voulant écrire de la fiction. L. veut qu’elle aille au cœur de ses douleurs, de son être pour écrire « le livre caché », que de Vigan avait évoquée lors d’une entrevue sur Rien ne s’oppose à la nuit. Delphine de Vigan refuse de le faire, disant être ailleurs. L. lui reproche constamment de rester dans sa zone de confort. Elle veut qu’elle se lance du précipice chaque fois qu’elle écrit un livre. La pression à laquelle L. la soumet la paralyse.

On se régale de cette histoire dont on arrive très peu à séparer ce qui est vrai de ce qui ne l’est pas. Et ça importe peu. Ce qui est essentiel, c’est justement de ne pas pouvoir discerner la frontière, ce qui dénote la qualité de l’écriture. Je me suis exclamée à plusieurs passages où de Vigan se laisser enrouler dans la farine par L., j’ai hoché la tête en accord avec certains passages, bref, cette lecture m’a emballée.

Yannick Ollassa / La Bouquineuse boulimique

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