Place Bonaventure : Que fait-on des personnes à mobilité réduite? Ou «Mon expérience au Salon du livre de Montréal : la visite avortée»

Je suis généralement pas du genre à me plaindre, mais là, la madame est pas contente! C’est que, voyez-vous, j’ai essayé d’aller au Salon du livre de Montréal. Ben en fait, j’ai réussi à y aller… un gros 45 minutes! Si ce n’était du fait que j’ai pu parler avec quelques auteures (Stéphanie Deslauriers, Johanne Seymour et Syvlie-Catherine De Vailly) au stand 146 et un adjacent, on pourrait dire que je n’y suis pas allée. Pis j’ai rien ramené. Pas de livres, j’entends. Juste une énorme colère. Une frustration intense, qui, chaque fois que j’y pense, même trois jours plus tard, n’a rien perdu de sa superbe.

Comme certains d’entre vous le savent, je me déplace maintenant avec des béquilles à bras, vous savez, les mêmes qu’utilise le fils de Walter White dans la série Breaking Bad. Ce qu’il faut savoir, c’est que quand notre mobilité est réduite, avant de se rendre où que ce soit, à l’épicerie, au dépanneur, n’importe où, on estime le chemin à parcourir – c’est tout juste si on ne compte pas les pas qu’on prévoit faire – et on le compare à la force que l’on croit avoir, pour avoir une idée de la faisabilité du projet. Ça, c’est sans compter la gestion des liquides. Hé oui! Chaque détour à la salle de bain signifie des pas de plus, alors on essaie de les réduire au minimum. Pis là, c’est si on se rend au petit coin, parce que quand on a une vessie neuropatique, c’est pas une garantie! Ce qui veut dire qu’on arrête de boire au plus tard une heure trente avant de partir.

Me voilà donc vendredi, à me demander si c’était faisable pour moi d’aller au Salon du livre. Je me suis dit : « J’ai pris l’avion toute seule avec trois bagages pas plus tard qu’il y a deux semaines, si je suis capable de faire ça, je suis capable d’affronter le Salon du livre! » Ouais, bon, ça n’a pas trop bien fonctionné, mon affaire.

Premier obstacle : pas de stationnement pour personne handicapée libre. Le stationnement d’en face plein, mais bon, un se libère devant l’entrée… je suis chanceuse… mais je dois revenir déplacer ma voiture avant 15 h 30, car à partir de cette heure, c’est une zone d’embarquement pour les autobus.

Deuxième obstacle : Je gravis les nombreuses marches pour entrer à l’intérieur du bâtiment, puis je descends un escalier, puis un autre, pour accéder à la billetterie. Je me présente à l’espace média pour réclamer mon accréditation. Troisième obstacle : elle n’est pas là. Ma demande a pourtant été faite en septembre auprès de la nouvelle firme de communication qui s’occupe du Salon du livre. Demande réitérée dans un échange courriel juste avant mon départ précipité pour la France au début du mois. J'ai toujours fait une bonne couverture du Salon, je ne comprends pas. Mais bon, elle n’est pas là. La fille du kiosque doit texter la salle de presse pour savoir si elle peut m’en faire une. J’attends… Je me dis que tu sais, 8 $, c’est pas la fin du monde, je vais aller m’acheter un billet. Sauf qu’il y avait une queue et, comme la position debout stationnaire est difficile pour moi, alors j’attends qu’on éclaire la situation au sujet de mon accréditation. Quelques minutes après arrive un vrai journaliste Jean-François Nadeau, du Devoir, pour ne pas le nommer). Pas d’accréditation pour lui non plus. Mais bon, il s’est peut-être trompé, peut-être sa passe se trouve-t-elle avec celles des auteurs, puisqu’il doit faire une animation à 15 heures. Elle s’apprête à lui en faire une, et me voit du coin de l’œil, à attendre qu’elle ait la réponse de la salle de presse pour me faire une accréditation. La fille est visiblement mal à l’aise. Elle me fait donc une accréditation, puis fait celle du journaliste.

Je m’avance vers l’entrée, cherchant des yeux une indication vers un ascenseur, un monte-charge, quelque chose. Rien. Quatrième obstacle. Je monte donc le long escalier jusqu’au palier. Là, je vois une pancarte poussette et fauteuil roulant. Je suis le chemin, mais je ne vois rien. Je monte donc un autre escalier, de plus en plus lentement puisque mes jambes commencent à vraiment avoir du mal.

Après avoir placoté avec deux, trois auteures, c’est l’heure d’aller déplacer ma voiture. Et rebelote le combat entre mes jambes et les escaliers à descendre et à remonter pour me rendre à l’extérieur. C’est là que je vois le « monte-charge » pour poussette et fauteuil roulants, entre deux volées de marches. Quelle super idée! Il faut monter ou descendre un escalier pour y accéder! Comme il y avait une file de poussettes, j’ai pris l’escalier. Le temps que ça m’a pris de faire chaque marche une à une, mes jambes faiblissant à chaque foulée, je suis arrivée avec cinq minutes de retard à ma voiture. J’avais donc, en prime, une contravention de 86 $. Bon, celle-là, je l’assume. J’ai choisi, parce qu’il n’y avait pas de stationnement pour personne handicapée proche de l’entrée, de me garer là. Pas de problème. Sauf qu’une fois rendue à ma voiture, je me suis bien rendu compte qu’il m’était impossible de refaire le parcours digne de Shawshank redemption deux autres fois (pour retourner à la salle d’exposition et revenir à ma voiture ensuite). Fait que je suis partie. En beau maudit!

Sérieusement, en 2015, il est inconcevable qu’une des principales salles d’exposition de Montréal ne soit pas mieux équipée pour recevoir les personnes à mobilité réduite. Et si on veut aller au Salon du livre ou au Salon des métiers d’arts? On reste chez nous, c’est ça? Encore une fois, on se sent exclus de la société dont nous faisons partie. Pourtant, on paie nos impôts et nos taxes, comme tout le monde. Et, n’en déplaise à une jeune participante à l’émission Un souper presque parfait, on a contribué à la société et on le fait toujours. Juste différemment. Alors, pourquoi des situations comme celle que j’ai vécue se produisent encore?


Yannick Ollassa / La Bouquineuse boulimique 

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