Histoire de la violence : au-delà des gestes mêmes, la violence persiste

Édouard Louis nous revient avec un nouveau roman autofictionnel qui raconte la tentative de meurtre et le viol qu’il a subit un soir de Noël. Deux voix nous relatent l’événement et ses suites, la sienne, bien sûr, et celle de sa sœur qui rapporte – et commente – les faits dans un long monologue à son mari qui l’écoute sans broncher.

Alors qu’il rentre d’un souper avec des amis, un passant l’accoste sur la rue et insiste pour qu’ils aillent prendre un verre. Édouard résiste, mais Reda ne lâche pas prise tout au long du trajet. Il le harcèle carrément, mais parce qu’il est séduisant et qu’il ne cesse de le suivre, il finit par l’inviter chez lui. Au départ, ça se passe bien. Puis, quand Édouard découvre que Reda lui vole certains de ses effets, son amant devient violent.

La violence a de multiples facettes et elle est plus sournoise que les gestes subis. Elle persiste longtemps après l’événement même. Au lendemain de ce soir de Noël, Édouard voit ses amis et leur raconte ce qui lui est arrivé. Ceux-ci, pourtant bien attentionnés, lui mettent de la pression pour qu’il porte plainte, se substituant sans en être conscients à l’agresseur, prenant les décisions pour lui et le culpabilisant de ne pas vouloir déposer une plainte.

Lorsqu’il accepte finalement de rencontrer la police, une autre forme de violence, incontournable, s’ajoute. Il doit répéter son histoire de poste de police. Comble de malchance, il est promené de poste de police en poste de police. Parce que l’administration française, c’est Les 12 travaux d’Astérix. Il doit raconter son histoire dans deux commissariats avant qu’on le réfère à la police judiciaire, qui s’occupe de ce genre de cas. Et ça, c’est sans compter les examens médicaux que requiert ce genre de crime.

Comme la majorité des gens qui ont vécu de telles agressions, il oscille entre la difficulté à dire ce qui s’est passé, notamment quand il est obligé de le faire pour les démarches judiciaires, et la nécessité d’en parler, comme un besoin compulsif et inassouvissable, généralement à des gens qu’il ne connaît pas.

Puis il y a la violence des conséquences que ces actes ont eues sur sa vie. Il y a la peur, bien sûr, qui perdure de nombreux mois, puis il y a l’isolement. Édouard sent que personne ne le comprend réellement. Cela se sent davantage quand sa sœur entre en scène. Édouard vient d’une famille où il a été dénigré et méprisé. Cet entourage prenait davantage de place dans En finir avec Johnny Bellegueule, mais on en sent tout de même les relents nauséabonds dans Histoire de la violence, par l’entremise de sa sœur dont le mépris qu’elle éprouve pour son frère suinte de chacune de ses paroles, même si elle n’en est probablement pas consciente.

À partir de la page 188, on est dans le cœur du sujet. Pas dans les gestes d’agressions comme tels, mais dans l’intériorité du personnage. Dans ses tripes. On y découvre l’ampleur des dégâts. Pour moi, le reste du roman n’est que préambule, mise en place.


Outre la violence, le thème de la fuite se retrouve également dans ce roman. Dans le précédent, le personnage principal avait fini par fuir. Dans celui-ci, il aimerait fuir, mais en est incapable. Il évoque cette incapacité ainsi : « comme si la violence première de la situation était d’abord d’abolir l’extérieur, de condamner à exister à l’intérieur des limites qu’elle trace. »

Histoire de la violence n’est pas que l’histoire d’un individu, mais également de la société. À travers son expérience, l’auteur explore les multiples facteurs qui peuvent engendrer la violence, comme l’exclusion, la pauvreté, le racisme – son agresseur est d’origine kabyle – et autres préjugés.

Édouard Louis a le don de décrire les blessures de l’âme humaine. Non seulement ses textes dressent le portrait des faits, mais il réussit à nous faire ressentir les émotions des personnages. Il a la dignité de ne pas aller dans des détails scabreux, sans toutefois que cela ne diminue l’horreur de la situation. Histoire de la violenceest un roman puissant empli de peur, de violence, mais aussi de grande lucidité et d’une rafraîchissante honnêteté.


Yannick Ollassa / La Bouquineuse boulimique


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