Fans de la vie impossible

Le premier roman jeune adulte de Kate Scelsa nous ouvre une fenêtre sur les existences de trois adolescents qui ont perdu leurs repères et sont aux prises avec des difficultés. Des incidents ont fait en sorte que chacun des trois protagonistes s’est absenté de l’école pendant des semaines, voire des mois. Au départ, il y a un mystère autour de ce qui s’est réellement passé avec eux. Mira a changé d’école après une dépression qui l’a menée à l’aile psychiatrique de l’hôpital. C’est d’ailleurs durant ce séjour qu’elle a rencontré Sebby et c’est à St. Francis, sa nouvelle école, qu’elle rencontre Jeremy, un jeune garçon qui souffre d’anxiété sociale depuis un incident à l’école l’année précédente. Comme des canots à la dérive, les trois rejetés se trouvent et tissent des liens très serrés. La vie impossible, c’est la vie normale, heureuse. Celle à laquelle ils aspirent en dépit des défis de taille qui se dressent devant eux. Ensemble, ils sont forts. Ils sont capables de tout accomplir. Tous trois croient tous que les deux autres pourront les sauver. Et ça fonctionne bien, jusqu’à ce que tout parte en vrille.

Mira a des problèmes physiques et psychologiques. On se rend compte qu’elle étouffe sous leurs exigences et dans l’ombre de Julie, sa sœur aînée, miss parfaite. La jeune Miranda à l’âme artistique a l’impression de ne pas cadrer dans cette famille à tendance plutôt conventionnelle. Elle se voit comme une ratée, une erreur. L’auteure démontre d’ingénieuse manière la dichotomie entre la perception que Mira a d’elle-même – ainsi que celle de sa famille – et la manière dont Jeremy la voit. Cela souligne qu’on se juge souvent plus sévèrement que les autres.

Sebby est en apparence lumineux, mais cela n’est qu’un mécanisme de défense pour cacher la noirceur qui l’habite. Orphelin baladé de famille d’accueil en famille d’accueil, il se trouve chez une mère d’accueil religieuse qui collectionne les enfants et qui considère l’homosexualité est un péché.

Jeremy semble le plus équilibré du trio. Ses parents divorcés alors qu’il était bébé, sa mère l’a abandonné. Son père est en couple avec David depuis ce temps. Ayant grandi dans une famille aimante, il a donc une base solide. Malheureusement, un incident d’intimidation a fait en sorte qu’il a développé une certaine anxiété sociale et a été absent de l’école pendant des semaines. Cela l’a rendu ultra-sensible au rejet et au début de son amitié avec Mira et Sebby, il croit que ça finira mal, que ça ne peut pas durer, que ça va éclater. Comme s’il était impossible qu’il soit heureux.

C’est un roman intense où l’on mesure l’étendue de la détresse que l’on peut vivre à l’adolescence. L’auteure aborde plusieurs sources et conséquences du mal de vivre : l’isolement, l’anxiété sociale, la maladie mentale, la maladie physique, l’abus de drogue, l’abandon parental, le suicide, l’homophobie, l’intimidation, le décrochage et les difficultés scolaires, ainsi que l’exploration sexuelle, etc. Kate Scelsa râtisse large. Il faut dire que dans la vie, ces problématiques sont souvent emmêlées. Exposer tant de problèmes a sûrement pour résultat que chaque lecteur trouve un peu de lui dans les personnages. Heureusement, cela reste naturel et on n’a pas trop l’impression que l’objectif de l’auteure est de rejoindre le plus de gens possibles, plutôt que de raconter ses personnages.

Le récit est fluide, le changement de voix avec l’utilisation de la première, de la deuxième et de la troisième personne du singulier donne un agréable rythme à la narration. On s’attache aux personnages qui se sentent perdus et combattent pour trouver leur chemin vers une certaine normalité. L’ancien adolescent et l’adulte que nous sommes devenus auraient envie de leur dire que le chemin du bonheur n’est pas nécessairement dans la normalité, mais plutôt dans l’acceptation de notre idiosyncrasie.

Seule la fin m’a laissée un peu sur mon appétit. Je n’ai rien contre les fins ouvertes, je les préfère, mais celle-ci est un peu trop floue. Cela finit avec de l’espoir, et c’est correct, mais avec tout ce qui s’est passé entre eux, il serait étonnant que tout reprenne le chemin d’avant. J’ai eu l’impression que l’auteure ne voulait pas finir l’histoire avec une fin du type Disney ni avec une terminaison définitive, sèche et déchirante, et qu’elle a donc laissé le tout flotter, mais un peu trop tôt dans l’histoire.

Hormis ce bémol, c’est une belle lecture qui démontre la force du sentiment d’appartenance, la nécessité de trouver des gens qui sont un peu comme nous, qui nous stimulent et qui nous donnent envie d’aller de l’avant.

En librairie le 28 mars 2016

 Yannick Ollassa / La Bouquineuse boulimique

Commentaires

Messages les plus consultés de ce blogue

Qimmik

Désir noir : histoire d’un féminicide

Mémoires d'un expert psychiatre