Vivre en funambule



Bien que provenant de deux coins différents de la France, Pamela et Thad étaient prédestinés pour se rencontrer. De sa Bretagne natale, Thad a vécu une enfance plutôt morne où seules les téléséries de kung-fu venaient illuminer ses jours. En grandissant, il est devenu fasciné par les samouraïs, lis à répétition La pierre et le sabreet travaille comme homme de main pour un général nippon.

Pour sa part, Pamela est née en banlieue parisienne. Sa mère, adepte de la télésérie Dallas, l’a nommé en l’honneur d’un personnage de la série. La jeune femme se passionne pour les geishas au point de s’habiller comme elles pour aller travailler dans le restaurant chinois de Meluns, où elle connaît une forte popularité et où le docteur Atsuro, un Japonais, lui offre de gérer sa boutique de bonsaïs à Paris, du côté du quai Malaquais.

C’est là que Pamela et Thad se rencontrent, alors que le jeune homme tentait de se protéger de la pluie. C’est le début d’une histoire d’amour qui ne fera que croître rapidement entre eux deux. Ils ont des passions communes. Les deux jeunes adultes désirent pratiquer des professions, samouraïs et geishas, dont la profession et le statut sont, même dans leur pays d’origine, désuets. La belle époque où ils étaient au sommet de leur gloire est révolue.

Leur amour dure près de deux ans durant lesquels Thad doit s’absenter parfois pour le travail. Les périodes se font de plus en plus longues. Leurs traits de caractère qui se complètent font également parfois en sorte qu’il y a très peu de communication entre eux. Pamela ne pose pas de questions à Thad, comme une bonne Geïcha. Car la vie d’une geisha est centrée sur l’observation des détails pour aller au-devant des besoins des hommes, pour anticiper. Cependant, elle ne doit que parler que quand l’homme lui parle et comme Thad est peu bavard, plutôt solitaire, il apprécie que Pamela ne pose pas de questions. Cependant, durant une période plus mouvementée après une mission qui l’a laissé quelque peu troublé, cela aurait pour s’avérer utile.

Quelque temps après cela, Pamela trouve une lettre laconique. Au départ, elle est absolument écroulée. Isabelle Artus a les mots pour décrire les lancinantes souffrances, si vivantes qu’on sent encore notre cœur battre dans nos yeux qui auraient trop pleuré, notre gorge qui retient la boule qui est prise entre elle et l’estomac et qui ne veut le quitter et finalement les tambourinements distinctifs à nos tempes qui irradies dans tout notre cerveau.

À ce stade, je me suis posé la question suivante : comment apprend-on à aller vers l’avenir si on n’a jamais appris à le faire?

Pamela tient dur comme fer à son rêve. Devra-t-elle le confronter à la réalité pour en avoir une idée plus réaliste et construire une vie qui pourrait lui permettre de joindre l’utile à l’agréable?


Mon premier commentaire sur l’écriture concerne les notes en bas de page qui seront, j’en suis assurée, fort appréciées, notamment par les Québécois qui ne sont pas familiers avec, produits, personnalités, événements, système scolaire français. C’est la première fois que je vois ça et c’est apprécié.

Ensuite, j’ai bien aimé les titres de chapitres qui sont parfois amusants. Ça permet d’enlever un peu de lourdeur à certains chapitres et donner un ton d’ensemble un peu plus frais au roman, ce qui permet de rejoindre une clientèle plus grand public.

Isabelle Artus excelle à nous démontrer les moments de tensions internes des personnages, plus spécifiquement de Paméla. Cette espèce de tension, de toujours garder la maîtrise, cette constante retenue, mais qu’est-ce que c’est épuisant! Sa vie est axée sur les détails. Son maquillage, sa tenue, la taille des bonsaïs.

Il ne fait pas non plus passer sous silence la fantastique description de la lancinante souffrance ressentie par Pamela lors de la rupture amoureuse. Cet état que l’on a trop connu jusque dans le plus menu détail nous transporte dans un foudroyant cas de retours en arrière!

J’ai trouvé rafraîchissant cet amour du Japon, mais avec des personnages français qui essaient d’intégrer la culture et la philosophie japonaise, et ce, d’une manière presque pure. Les interventions du Dr Atsura, qui était en quelque sort de la voix du Japon, permettaient d’insérer une certaine sagesse dans les questionnements sans fin de ces êtres décalés de leur société. Des êtres qui se cherchent à travers la philosophie, les principes d’autres cultures, fascinés qu’ils sont par des symboles mythiques de la société japonaise au point de vouloir en endosser l’identité. Même au Japon, ils n’y arriveront pas.

Un roman sur la nécessité de ne pas chercher en dehors de soi pour se définir. Même s’il est difficile d’accomplir cet exploit quand les parents censés nous montrer le chemin n’ont trouvé mieux à faire que de rêver à une vie inaccessible.

C’est quand même ironique parce qu’ils en ont voulu à leurs parents d’être déconnectés de la réalité, mais il l’étaient tout autant puisque c’est ce qu’ils ont appris et ça leur a pris du temps à s’en affranchir, comme s’il devait s'en débarrasser leur ADN.

Mais, au-delà de tout ça, dans tout le roman, on passe notre temps en constant décalage entre les personnage et la société. Entre la société et les personnages, entre un métier et la société. L'auteure nous maintien toujours dans un déséquilibre minime soit, mais toujours présent, qui nous porte à réfléchir. Avons nous vraiment une place confortable dans cette société? Est-ce réaliste de croire que nous avons tous un espace bien précis, comme un morceau de casse-tête ou devons-nous apprendre à vivre tel un funambule sur un fil de fer? Qu'est-ce qui est le plus confortable? Le moins contraignant? Ça vaut le coup d'y méditer un peu!

 Yannick Ollassa / La Bouquineuse Boulimique

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