Vernon Subutex, tome 2
Ça m’a demandé un certain temps avant de rédiger cette chronique. D’une part, ma situation médicale s’est posée en obstacle, d’autre part, j’avais besoin de prendre une certaine distance quant au deuxième tome de cette fresque sociale de la France d’aujourd’hui.
On retrouve Vernon Subutex dans la rue, malade et fiévreux. Un homme, qui s’avère à être Charles, un prolo qui a gagné à la loto, mais qui ne l’a dit à personne – même pas à sa compagne de longue date – veille sur Vernon. Il lui apporte des oranges et des Dolipranes.
Grâce à ses bons soins, il se rétablit tranquillement. Les individus qui le cherchaient dans le premier tome pour obtenir les enregistrements d’Alex Bleach sont toujours à sa recherche. Après maints efforts, ils le retracent. La Hyène convoque alors tout le monde pour un visionnement privé des bandes vidéo qu’elle a subtilisé dans l’appartement de Sylvie.
Depuis l’attaque subie par Xavier dans le tome précédent, Vernon n’est plus le même. La vie dans la rue l’a changé. Il a des moments où il déconnecte des conversations, de la réalité. Il part dans ses pensées, il arrive difficilement à suivre les conversations et à répondre lorsqu’on lui pose une question. Il entend parfois, mais est pris au loin, comme dans une autre dimension, dans un autre espace, incapable de rejoindre la réalité. Pendant le visionnement, les membres du groupe pensent qu’il a perdu la boule, sauf la Hyène, qui semble le traiter normalement.
Des enregistrements faits par Alex Bleach, on apprend une révélation qui prendra plus d’importance plus loin dans le roman pour quelques personnages, mais hormis cela, l’histoire des bandes sonores tombe un peu à plat par rapport à l’importance qu’elle avait prise dans l’intrigue du premier tome, ce qui est un peu dommage.
Au lendemain de la séance de visionnement, sans s’en être parlé, sans trop savoir pourquoi, presque chaque membre de ce groupe improbable se trouve dans le parc des Buttes-Chaumont auprès de Subutex. Ils finissent par tous y revenir, tous les jours, parfois après le travail, au lieu du travail, quelques heures, toute la journée. Ils vont prendre leur dose quotidienne de Vernon au parc ou au Rosa Candida, un petit bar du coin. Ça fait prophète sans être prophète, car il ne prophétise pas. Il ne parle pas, ou très peu. Il est là. Puis, des fois, il mixe au Rosa, mais c’est tout. Il ne veut pas qu’on l’héberge, il veut être dehors; libre. C’est tout. Et les autres, et bien ils veulent juste être dans cette aura. Ils aimeraient avoir le courage, non pas de vivre dans la rue, bien sûr, mais d’en arriver au point d’être assez libre, assez fort pour se foutre de ce que les autres pensent, et de faire ce qu’ils veulent vraiment. Quand ils sont près de Vernon, ils s’imaginent pour quelques heures qu’ils sont comme ça, qu’ils n’ont rien à faire de l’opinion des autres, qu’ils ne font pas de courbettes pour être aimer… qu’ils sont libres…
Ils nous semblent un groupe aussi hétéroclite, mais quand ils sont ensemble, ils s’unifient comme les pièces d’un casse-tête. Heureux de se voir, de passer du temps ensemble, tout simplement.
Le rythme est plus lent que dans le tome précédent. Virginie Despentes poursuit l’histoire tournant sa lunette sur les personnages du premier tome. Elle s’attarde davantage aux dynamiques internes de chaque personnage. Ils sont tous, d’une manière ou d’une autre des vaincus. Ils ont tous abdiqué. Renoncement après renoncement, ils ont vu la possibilité d’atteindre leurs objectifs ou de réaliser leur rêve s’effriter. Peu à peu, ils ont fléchi et se sont trouvés dans une vie qui ne leur convient pas comme un vêtement trop étriqué. L’un après l’autre, Despentes leur donne une voix parfois douce, parfois résignée, d’autres fois indignée.
Si elle a privilégié l’individu comme premier objet sur lequel s’est fixé son collimateur, elle n’a cependant pas boudé l’aspect social. Penser le contraire serait mal la connaître. Or donc, elle pose son œil toujours aussi perçant sur la violence, le pacifisme, la vengeance, le féminisme, les rapports sociaux, la parentalité, la mondialisation, la ghettoïsation, etc. Elle a regroupé des sujets qui touchaient la politique, comme celle-ci est indéniablement liée à l’individu.
Le rythme ralentit également parce que pour le groupe, le temps se dilate, ralentit, alors que le reste du monde court à sa perte. On sent leur volonté de s'affranchir de cette course folle où tout le monde suit comme un mouton, sans poser de question, les messages véhiculés par les gouvernements, les médias, etc.
Le rythme ralentit également parce que pour le groupe, le temps se dilate, ralentit, alors que le reste du monde court à sa perte. On sent leur volonté de s'affranchir de cette course folle où tout le monde suit comme un mouton, sans poser de question, les messages véhiculés par les gouvernements, les médias, etc.
On retrouve l’écriture sans fards de Despentes. Si le rythme de l’intrigue prend celui de l’intime des personnages, je dois cependant noter que vers le milieu du roman, il y a une trentaine de pages de longueurs. Le tout se replace ensuite. Il ne faut pas croire qu’il ne se passe rien durant le roman. Il se passe plusieurs choses, dont certaines qui bousculeront l’ordre du groupe et l’amèneront à bouger, car certains craindront pour leur sécurité.
C’est une bonne chose que l’éditeur ait voulu scinder le manuscrit de Virginie Despentes en trois tomes. Il aurait été impossible pour le lecteur de gober tout ça en un seul livre! C’est trop vaste, trop touffu! L’écrivaine touche trop à tout. D’une part, les thématiques n’auraient pas été absorbées, le lecteur étant gavé par l’abondance d’infos qui lui auraient sorti par tous les orifices comme une bouche d’égoût un jour de pluie diluvienne. D’autre part, cette immense fresque, tout d’un coup, ça déprime trop. Ça donne envie de se défenestrer, et ce, même si le ton du deuxième tome est plus léger. La publication en trois tomes permet de mieux digérer chacun d’entre eux, quitte à se taper un trou normand avant de passer à l’autre. Je blague, bien sûr. C’est très bien écrit; là n’est pas le problème. C’est simplement que ça brusque l’être humain de se rendre compte qu’il erre depuis longtemps. Pas facile de faire le constat qu’on est en déroute et qu’il est plus que temps de faire quelque chose. Que ce soit personnellement ou socialement. Il faut y aller par étape. En tout cas dans ce cas-ci.
Sur la Butte-Chaumont, les liens du groupe se solidifieront. Une relation bien particulière s’établira entre chacun des membres et particulièrement entre les membres et Vernon Subutex telle que mentionnée auparavant. Cette tournure genre hippie-ésotérique-new-age-groupespirituel, m’a moins séduite, mais ça, c’est essentiellement une question d’atome crochu. Les miens étaient plutôt droits. Cependant, je comprends ce que l’auteure a voulu exprimer. Si ça n’est pas venu me faire vibrer, il n’en demeure pas moins qu’il me tarde de savoir ce qui attend le groupe. On sent que quelque chose les attend, que leur trajectoire ne s’arrêtera pas là et qu’elle ne peut se terminer dans l’indifférence. Il en va de même pour la société française qui se trouve au cœur de tourments. On sent que quelque chose se rapprochant d’une guerre civile commence à gronder en son sous-sol. Est-ce que les citoyens sauront l’éviter? Il faudra attendre encore quelques mois pour le savoir.
Yannick Ollassa / La Bouquineuse boulimique
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