Sous la ceinture : Un recueil puissant pour contrer la culture du viol

Voilà un recueil de texte que j’avais hâte de lire. Comme femme, mais également comme ancienne intervenante auprès des femmes. Ayant œuvré pendant de nombreuses années auprès des victimes d’agression sexuelle, je ne pouvais que me réjouir de la parution de ce collectif de textes et d’illustrations de nature variée sur la culture du viol.

Son objectif principal, nous informe Nancy B.-Pilon, qui a dirigé le projet, est d’amorcer ou d’instaurer un dialogue sur le sujet. Ces derniers temps, on a beaucoup parlé de culture du viol sur les réseaux sociaux et autres plateformes médiatiques. De nombreuses personnes se sont érigées contre l’expression, croyant peut-être, à tort, qu’elle sous-entendait que, comme société, nous cultivions le viol. Or, tel que le mentionnent Nancy B.-Pilon, Koriass et Judith Lussier dans le recueil, ce n’est pas du tout le cas.

Judith Lussier explique que la culture du viol n’est pas le viol, mais un ensemble d’attitudes, d’idées qui banalise les agressions sexuelles. Dans la préface, le rappeur Koriass, pour sa part, explique clairement pourquoi l’expression, que plusieurs trouvent dérangeante, est juste.

« … c’est qu’en commençant à être conscientisé sur la culture du viol, je ne voyais que la pointe de l’iceberg. Le problème est plus grand qu’on pense, parce qu’il réside dans le silence. Dans la culture du silence. La culture de la culpabilité. Le mot “culture” est bien utilisé ici, nous cultivons le silence. Nous cultivons la culpabilité. Et les victimes continuent de garder ces lourds secrets pour elles, dans la honte, sachant que si elles parlent, de toute façon on leur dira : “Pourquoi tu l’as invité dans ton lit si tu voulais pas coucher avec?” »

En raison de ce type de réflexes, il est important de briser le silence sur la culture du viol. De cesser d’entretenir les éléments qui font en sorte que les agressions sexuelles existent. Oh, je sais, l’éradication totale du phénomène est malheureusement utopiste, mais il est à mon avis de notre responsabilité de tendre vers cet objectif afin d’en réduire l’occurrence le plus possible. Et pour cela, il faut en parler. Même si ça dérange. Surtout si ça dérange. Car, l’être humain est ainsi fait, il lui faut expérimenter un malaise important avant de faire des changements. Tant qu’il estime qu’il y a plus de gains à ce qu’une situation se perpétue, il ne fera pas grand efforts pour modifier les choses. C’est souvent lorsqu’il n’a plus rien à perdre ou quand la situation est si inconfortable qu’il ne peut la tolérer davantage qu’il décide de bouger.

La socialisation des filles et des garçons est le premier élément à la base de la culture du viol. J’entends ici la manière dont on éduque les enfants, les doubles standards qu’on leur impose, les messages qu’on leur envoie. À cela se juxtapose la culture du silence qui favorise l’impunité des agresseurs et donc, la perpétuation des agressions sexuelles.

Au passage, je me permets un aparté sur le fameux « C’est pas de la faute des hommes, tu sais, c’est à cause de leurs hormones ». Je ne sais pas pour vous, les gars, mais moi, si j’étais un homme, je trouverais l’argument extrêmement dénigrant et grandement offensant! Comme si les hommes étaient dépourvus de rationalité et étaient totalement soumis à leurs pulsions, telles de vulgaires bêtes!

Il y a aussi une mise au point que j’aimerais faire. L’agression sexuelle n’est pas une question de désir, mais de prise de pouvoir sur l’autre. Une agression se passe lorsqu’on force quelqu’un à quelque chose à laquelle elle n’a pas consenti. Point. Le désir c’est un appel, une envie, ce n’est pas irréfrénable. La preuve, vous êtes au travail, devant un-e collègue que vous désirez. Vous n’allez pas avoir une relation sexuelle en pleine réunion devant tout le monde, non? Ben voilà. Le désir peut être fort, oui, mais il n’est pas irrépressible.

Le recueil Sous la ceinture propose des illustrations, des photos et des textes de fiction et d’opinion qui abordent une partie des éléments que j’ai mentionné. Les textes, sans exception, sont tous puissants. Certains nous touchent plus que d’autres, selon nos sensibilités, bien sûr. On y trouve une vue assez globale de la problématique selon divers points de vue, ce qui est une des grandes forces du recueil.

Dans son texte, Marie-Michèle Lalonde raconte comment, souvent, les jeunes garçons témoins de comportements ou de commentaires sexistes ou sexualisant se taisent devant ceux-ci de peur de passer pour un faible ou etc.

Samuel Larochelle parle également de ce phénomène à sa manière dans un texte où un jeune homme, qui fait partie d’une bande d’agresseurs, n’ose pas intervenir, arrêter par peur de représailles ou des conséquences.

Simon Boulerice livre un texte déstabilisant dans lequel il est question de standards de beauté. Il met en scène une fille ordinaire qui en vient à jalouser les filles qui reçoivent de l’attention pour leur corps… je n’en dis pas plus!

La mini pièce Florence Longpré vous créera sûrement un certain malaise. Un bon malaise, en ce sens qu’elle touche la question de l’agression sexuelle dans les relations de couple. Un sujet encore fort tabou, mais beaucoup plus répandu qu’on ne le croit. Il est si tabou que plusieurs personnes sont encore convaincues que l’on ne peut parler d’agression sexuelle si elle se passe au sein d’un couple.

Véronique Grenier écrit sur la notion du consentement, Nancy B. Pilon, d’une mère qui écrit une touchante lettre à sa petite fille sur la peur qu’elle a pour elle. Milena Babin raconte une histoire dans laquelle un homme qui abuse de sa position d’autorité pour agresser des jeunes filles.

De son côté, Webster nous entretient sur la culture hip-hop et ses liens avec la culture du viol. C’est un texte très instructif, même si on a l’impression d’un tout petit biais. Un peu comme s’il disait « oui, mais… ». Quand il dit que les femmes sont consentantes dans leur objectification (dans les vidéos, notamment), il a raison. Mais il ne faut pas oublier qu’elles aussi ont été influencées (presque endoctrinées) par la pensée dominante. En fin de compte, il en ressort qu’il sait bien faire la part des choses. Ça démontre aussi qu’on a tellement internalisé les messages sexualisant et que le changement ne se fait pas en claquant des doigts. C’est un travail en profondeur qui doit se faire, puisqu’il est question des conceptions de base acquises dès la naissance – ce qu’est un homme, ce qu’est une femme, ce qui est permis ou pas de faire, ce qui est accepté et pour qui, etc.

Webster démontre que ce n’est pas la culture hip-hop qui est en elle-même sexiste, mais que le courant commercial est tombé dans l’objectification. C’est aussi vrai pour plusieurs styles de musique, même si le rap est davantage montré du doigt.

J’ai particulièrement apprécié le partage de Sophie Bienvenu qui parle notamment du fait qu’on a souvent intégré tellement profondément des idées qui nourrissent la culture du viol qu’on a tous, par moment, des réflexions, des attitudes, des paroles qui y participent (à la culture). C’est un genre de mea culpa qui propage l’espoir qu’on peut changer. Qu’il est nécessaire de prendre conscience de ses réflexes, de ces idées et ensuite, de les corriger. Les rationnels et scientifiques aimeront qu’elle appuie plusieurs de ses dires de sources.

Il est admirable qu’elle attaque le tabou du fantasme du viol. C’est un terrain délicat et elle en parle avec grande sensibilité, sans non plus être trop vague. Bref, un texte honnête et rafraîchissant!

Le recueil se termine avec un excellent texte de Gabrielle L. Collard qui aborde l’incertitude quant au fait d’avoir vécu ou non une agression sexuelle si on ne dit pas non jusqu’à la fin, si on ne se débat pas jusqu’à la fin, pour que ça finisse plus vite.

Tant de femmes et d’hommes se retrouveront dans l’un ou l’autre – ou plusieurs – des textes. Ce recueil est un incontournable. Chaque maison devrait en posséder un. Parce que chacun d’entre nous a pensé, ou dit, un jour : « As-tu vu comment elle est habillée! De quoi elle se plaint, elle l’a cherché » ou « les hommes sont comme ça! »... ou toute autre réflexion du genre.

 Yannick Ollassa / La Bouquineuse boulimique

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