Un vibrant témoignage de Roméo Dallaire

L’auteur de J’ai serré la main du diable, présentait la semaine dernière son dernier récit, Premières lueurs.

Dans ce nouveau bouquin, il nous explique, et on le constate, qu’il y a deux Roméo Dallaire, celui d’avant puis celui d’après. Après le génocide rwandais survenu en 1994, où il a été responsable du commandement de la mission de l’ONU. Il en est revenu avec ce que l’on appelle une blessure opérationnelle au cerveau.

C’est que là-bas, en plus d’avoir vu des atrocités, il a vécu de l’impuissance et de l’indignation alors que l’ONU ne retient pas ses recommandations et lui interdit d’agir. Le sentiment de culpabilité le hante. Il s’en veut de n’avoir pu faire plus pour sauver les plus de 800 000 personnes décédées et les centaines de milliers d’autres blessées.

Le TSPT (trouble de stress post-traumatique) dont il souffre toujours peut se manifester par des sautes d’humeur, des cauchemars, des réminiscences, des comportements autodestructeurs (automutilation, excès d’alcool, excès de vitesse). Les sujets qui en sont atteints feront tout pour éviter de sombrer dans le sommeil. Les nuits sont l’ennemi. Avec la noirceur, le sommeil qui, lorsqu’il vient, amène avec lui d’affreux cauchemars qui ramènent Roméo Dallaire au Rwanda, où le visitent les âmes en peine qu’il a l’impression d’avoir abandonnées. Ce n’est que quand le jour se lève qu’ils le quittent. Ce n’est qu’à ce moment qu’il peut respirer un peu mieux, d’où le titre, Premières lueurs.

Pour composer avec les fantômes de la nuit, il se réfugie dans l’alcool, dans le travail, dans la malbouffe ou dans le parc face à son minuscule et minable appartement qu’il a transformé en une réplique de son bureau.

Roméo Dallaire incarne le sens du devoir. C’est le moins qu’on puisse dire. Malgré son état, il ne cesse d’accepter des mandats, à plusieurs reprises durant sa carrière post-Rwanda. Étant de toute évidence une personnalité de type A, il est acharné, travaille sans relâche et ne s’accorde pas de plaisir, il ne sait sûrement plus comment et peut-être est-ce aussi une manière de se punir. Le côté positif, ça l’occupe, c’est ce qui le sauve, avec les médicaments qu’il doit ingérer quotidiennement. Le pendant, c’est que ça vide et ça rend plus vulnérable, d’autant plus que c’est toujours des mandats dont l’objet réactive sa blessure.

Si l’on en entend parler que lorsqu’il est à l’origine de suicide, de très nombreuses personnes vivent avec un trouble de stress post-traumatique tous les jours. Survivent, devrais-je dire. Car c’est bien de survie dont il s’agit. Chaque jour est un combat pour la survie. Roméo Dallaire lance un plaidoyer pour qu’on brise le silence, mais surtout pour qu’on puisse le déceler et le traiter rapidement, afin qu’il fasse le moins de dommages possible, pour que l’on puisse en guérir. Dans son cas, il estime qu’il a commencé à le traiter trop tard et qu’il devra vivre avec jusqu’à la mort.

Celui qui a eu plusieurs rendez-vous manqués avec la mort se dévoile avec générosité.Roméo Dallaire n’est jamais vraiment sorti de l’enfer du Rwanda. Les souvenirs des atrocités, des cadavres, des gens mutilés sont toujours frais dans sa mémoire, comme s’il y était encore. S’il a couché sur papier les conséquences de cette blessure de guerre, c’est afin que l’on comprenne et qu’on intervienne. Qu’on offre de meilleurs services à ceux qui souffrent de TPST. Afin qu’on reconnaisse que les militaires ayant été en mission de paix peuvent également être d’anciens combattants. Qu’on élimine un des éléments qui contribue à l’occurrence du trouble chez certains combattants, le phénomène des enfants-soldats.

J’ai trouvé cette lecture très difficile par moments. J’ai senti l’impuissance de Roméo Dallaire à travers chaque mot et je peux comprendre à quel point cela a pu être aliénant. J’ai été outrée de constater à quel point l’ONU a ignoré ses avertissements et l’a empêché d’agir. Il est à se demander si cet organisme n’est pas là que pour qu’on se donne bonne conscience. A-t-il un pouvoir ou une utilité concrète? Je me le demande bien.

Il y a peu de descriptions de ce qu’il a vu. Ce n’était pas le propos du livre que de faire un relevé plutôt gore des atrocités. Ce qu’on lit n’a que pour objectif d’illustrer au minimum les images qui le hantent afin que l’on comprenne d’où provient la maladie. Pour cela, je remercie les auteurs qui ont évité d’en mettre plus que nécessaire. C’est déjà bien assez troublant comme cela.

Le Lieutenant-Général Dallaire détient plusieurs pistes et moyens d’améliorer la situation canadienne et mondiale et pose d’importantes questions. Qu’il s’agisse des enfants-soldats, des anciens combattants, de la gestion de conflits armés complexes, il a démontré à de nombreuses reprises qu’il est possible de faire quelque chose. Il ne manque que la volonté et l’agir politique. Pour cela, nous, citoyens, avons également un rôle à jouer. En exigeant de nos élus qu’ils posent des gestes concrets afin d’améliorer les droits de la personne.

Un livre bouleversant qui ouvre les yeux et devrait nous sensibiliser suffisamment pour que nous nous mobilisions.


Yannick Ollassa / La Bouquineuse boulimique

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