L'humain derrière la maladie mentale

Premier roman de Marie-Ève Cotton, Pivot tourne son regard sur le vécu des patients de l’unité psychiatrique. Pivot, c’est Hadrien Jalbert de son vrai nom. On le surnomme Pivot depuis des années en référence à Bernard Pivot. C’est qu’il est érudit!

Durant son séjour à l’unité psychiatrique sous ordonnance de la cour parce qu’il a été jugé non criminellement responsable des voies de faits commis, il côtoiera Jésus,  Jonathan Livingston, le Chat de ruelle, la Voisine orange et Mary. Tombé sous le charme de cette dernière, qui entend des morts qui hurlent, il s’imaginera une relation amoureuse avec elle. Il se sentira aimé, privilégié. Il a enfin quelqu’un avec qui il s’entend. Quand un drame secouera l’unité des soins psychiatrique, les patients seront tous chamboulés, Pivot particulièrement. Arrivera-t-il à remettre sa vie sur ses rails?

L’auteure explore non seulement le fonctionnement de l’unité psychiatrique, mais surtout le quotidien des patients, tous convaincus qu’ils ne sont pas «fous» – hé oui, l’étiquette de fou persiste toujours! Elle démontre de manière très humaine l’ostracisme vécu par les personnes atteintes de psychose. Leur délire ne faisant de sens que pour eux, on les craint, on s’en lasse et on les met de côté, car trop dérangeant. Pour eux, il est aussi difficile d’entrer en contact avec les autres, ils ne sont pas au même diapason ou s’en méfient à cause de la paranoïa qui les habite, pour certains.

Elle donne, de manière impeccable, une voix à ces êtres mal-aimés. Exposer ainsi la mécanique interne de la maladie mentale, en faisant ressortir les êtres humains chez qui elle sévit, permet de mettre la lumière sur certaines zones d’ombre. Les choses ainsi illuminées contribueront peut-être à ce qu’on craigne moins les individus atteints. J’ose l’espérer… j’irais même jusqu’à le croire.

Que Marie-Ève Cotton écrive bien même si ce n’est pas son métier, ça n’a pas d’importance pour moi. De nombreuses personnes n’ont aucune formation en littérature et écrivent admirablement. Ce que je trouve beau, ce qui est un bel accomplissement, c’est la distance qu’elle a prise quant aux aspects plus cliniques pour faire briller ses personnages. Pour que ce soit eux qui nous restent.

Bien qu’il y ait des touches d’humour, il n’en demeure pas moins qu’on a devant nous un roman troublant et émouvant. Qu’est-ce que c’est horrible d’être poursuivi par ces obsessions, hallucinations et autres! Quel horrible constat, au fur et à mesure que les médicaments font effet, que de prendre conscience qu’on est atteint d’une maladie mentale! Beaucoup ressentent de la honte et plusieurs décident de cesser la médication, car c’est trop difficile à vivre d’être conscient de sa maladie et qu’ils veulent , comme l’auteure l’écrit si bien «redevenir invulnérables ou omnipotents. Ou se tuent. Il n’y a que dans la folie ou dans la mort que les fous échappent vraiment au dégoût de leur état.» p.158

Une lecture impérative, surtout à l’époque où la maladie mentale se fait foisonnante.
  
Yannick Ollassa / La Bouquineuse boulimique

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