L'autre Jeanne : trouver la liberté d'être soi

Encore une fois, il s’agit d’un roman à saveur autofictionnel. On y retrouve Jeanne et sa famille qu’on a connues dans Jeanne chez les autres. On est en 1988 et Jeanne a maintenant 18 ans. Sur un coup de tête, elle décide de prendre un billet aller simple pour Paris, quittant emploi et famille. Ses relations avec cette dernière étant plutôt difficiles, elle court vers l’Europe en quête de liberté. Après avoir passé une bonne partie de son adolescence en centre d’accueil, elle en a une soif incommensurable.

Avant de quitter, son roman, Marie chez les autres, a été refusé par une première maison d’édition. Durant son voyage, elle remet en question son talent et son rêve d’être écrivaine. Elle aspirait à ce que celui-ci lui donne un statut et, surtout, le respect de ses sœurs. Elle ne peut pour autant s’empêcher d’écrire et tout au long de son séjour à l’étranger, elle noircit des cahiers. On peut lire des extraits de son journal, puisque le roman est divisé entre ces passages et un narrateur extérieur qui rend compte de ce que fait et pense sa famille, particulièrement sa mère, sur le continent américain.

Ainsi donc, on l’accompagne durant son long périple en Europe où elle vivra de l’argent qu’elle quêtera, ici et là. Elle dormira dans des parcs, parfois chez des gens qu’elle rencontre au hasard. Sa famille est partagée à ce sujet : il y a ceux qui s’inquiètent et ceux qui la trouvent folle et inconsciente! Voyons, une fille de 18 ans qui voyage sur le pouce sans un sou en poche! C’est dangereux! Ses sœurs la jalousent secrètement. Comment ose-t-elle partir? Pour qui se prend-elle?


Parmi les endroits qu’elle visite, la France, l’Allemagne, l’Italie, la Suisse, pour ne nommer que ceux-ci. Certains lieux l’ennuient à mourir, comme le Louvre (ça m’a tellement fait penser à moi avant. Maintenant, j’apprécie un peu plus ces visites… depuis que je peins). D’autres suscitent chez elle choc et sentiment d’injustice comme sa visite à Berlin. Elle bourlingue longtemps jusqu’à ce qu’elle se décide enfin à revenir. Ce qui soulage sa mère. Elle revient ayant fait le plein d’expériences heureuses (oui, il y a du mâle là-dessous) et malheureuses (là aussi), mais surtout avec un meilleur sens de ce qu’elle désire… et une surprise en prime!

Jeanne est une fille au départ pas si facilement accessible. Elle est généralement avenante, mais peut avoir une attitude rebutante. Elle a du caractère, elle prend sa place, elle ne se laisse pas faire. Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’elle a du front!

La langue de L’autre Jeanne est crue, parlée, colorée et directe. Ici, on appelle un chat un chat. La famille dysfonctionnelle est plutôt typée, mais pas moins authentique et bien cernée. Il y a le grand-père pédophile incestueux, le père qui est joueur compulsif et qui vide les comptes de sa mère, la mère avec laquelle elle a une relation particulière, étant anciennement sa préférée, mais dont elle s’est sentie abandonnée à l’adolescence, ses sœurs avec lesquelles la compétition fraternelle est très présente, sa marraine Georgette, que j’ai trouvé savoureuse, qui est d’un franc parlé assez époustouflant, qui assume ses rondeurs et qui est un peu extravagante! La galerie de personnage est décidément colorée et donne le rythme à l’écrit. D’ailleurs, à la lecture, ça m’a fait penser à du Michel Tremblay. C’est différent, bien sûr, mais c’est de la même famille.

L’autre Jeanne parle de la difficulté des relations familiales même si parfois l’amour est là derrière. Il parle du besoin de liberté ainsi que de celui de se trouver qui, parfois demande de s’éloigner de notre famille d’origine et de la perception qu’ils ont de nous. La majorité est un moment charnière où il faut prendre de la distance de la famille pour voir qui ont est en-dehors des interactions qui ont court dans ce petit cercle et qui nous placent souvent dans le même rôle.


Un roman que j’ai beaucoup aimé et qui saura vous plaire, particulièrement si vous pouvez vous permettre de la faire au soleil. Il n’y a rien de mieux!

Yannick Ollassa / La Bouquineuse boulimique


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