Écrire pour oublier

Les écrasements, Matthieu Simard, Alto

Jeanne et Suzor ont formé un couple pendant deux décennies. Puis un soir d’automne, Suzor a quitté Jeanne sans vraiment. Maintenant octogénaire, Jeanne apprend que son grand amour est atteint de la maladie d’Alzheimer. Celle qui a tout tenté pour l’oublier se lance à sa recherche, mais ce ne sera pas une mince tâche. L’homme semble introuvable. Et même si elle le retrouvait, Suzor reconnaîtra-t-il Jeanne avec qui il a vécu 20 ans? Saura-t-il lui expliquer pourquoi il est parti subitement?

Les souvenirs, et surtout l’oubli, sont au cœur de ce nouveau roman. Il y a les souvenirs que l’on veut oublier, mais qui sont inscrits dans notre mémoire au fer rouge et ceux qui s’étiolent quoi que l’on fasse pour s’y accrocher. Pour Jeanne et Suzor, son amour perdu, les premiers sont le froid, la neige et les événements qui se sont produits durant leur séjour en Russie. Ironie du sort ou bonté de la vie, Suzor, qui a tellement souhaité oublier, n’a plus de contrôle sur sa mémoire et n’a aucun contrôle sur ce qui s’efface de sa mémoire.

Au-delà des effets de la maladie d’Alzheimer, la question se pose, peut-on réellement contrôler nos souvenirs? Est-ce qu’’on peut, comme Jeanne essaie de le faire, écrire pour sortir certaines mémoires de notre cerveau? Les souvenirs sont ce qu’il nous reste de ce qu’on a vécu. Si la réminiscence n’existe pas, comment cela influence-t-il la personne que l’on est? Que reste-t-il de nous?

Depuis son précédent roman, il est indéniable que l’écrivain est ailleurs. Plus d’histoire de gars qui se sentent écartelés entre leur blonde et les chums. Les relations interpersonnelles et amoureuses sont toujours au centre des histoires qu’il nous raconte, mais il s’agit d’un autre point de vue. Sa magistrale capacité d’évocation reste intacte, cependant, à mon sens, il plonge encore plus profondément dans l’intimité de ses personnages, pour notre plus grand plaisir.

Malgré le froid omniprésent de l’hiver et des souvenirs de Russie, on sent la chaleur qui englobe la belle Jeanne et Fourmi, son ancienne voisine adolescente. L’écriture est si belle qu’on a l’impression d’être dans un cocon avec les personnages, comme un figurant dans leur histoire, comme un accompagnateur muet. En fait, non, on fait corps avec les deux femmes.

Il y a un certain romantisme dans cette histoire, vous savez, un amour qu’on n’oublie pas et qu’on cherche à retrouver, 40 ans plus tard. Un amour qu’on ne peut oublier, parce qu’un beau jour, l’autre a tout simplement disparu. Qu’on n’a pas bouclé la boucle et qu’on ne peut tourner la page d’un chapitre qui reste ouvert et où l’on n’a pas écrit le mot FIN. Cet autre qu’on essaie d’oublier, mais qui est toujours là… tel un fantôme.

Quel beau roman que le dernier de Matthieu Simard! S’il y a des gens qui me suivent depuis le début (ben oui, si, parce qu’on sait jamais, en plus, je me suis faite sporadique au cours de la dernière année), ils savent à quel point j’adore les romans de cet auteur. Ça ne semble pas près de changer!

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