L'inéluctable fin


Olivia de Lamberterie, critique littéraire reconnue en France, nous présente un récit très personnel et touchant sur le suicide de son frère.

Alexandre de Lamberterie a quitté la France à la conquête de l’industrie des jeux vidéo de Montréal. Employé et œuvrant au sein de l’entreprise d’Ubisoft (il a travaillé notamment sur le jeu Assassin’s Creed), il espérait avoir semé le nuage noir qui lui collait à la peau depuis sa jeunesse, la mélancolie. Malheureusement, la mélancolie ne l’a pas lâché de ce côté-ci de l’Atlantique non plus. Il apprendra de nombreuses années plus tard, quelques semaines avant son suicide, qu’il souffrait de dysthymie, ce qui signifie : dépression chronique.

Olivia de Lamberterie nous offre des moments des derniers mois vécus par son frère, des souvenirs d’enfance ainsi que les mois suivants sa mort. Ces différentes périodes s’imbriquent pour dresser le portrait de sa souffrance, des conséquences du suicide sur l’entourage et la famille, mais surtout, surtout pour que le Alex qu’Olivia aimait, le Alex intelligent, brillant, attentionné, doué, vive encore.


Empli de sentiments encore à vif trois ans après l’événement, on retrouve dans le récit le regard d’un membre de la famille en état de choc, puis dans la douleur du deuil, voguant dans le déni de certaines choses ou cherchant à attribuer le blâme à un élément, une personne. Malgré qu’on sache que quelqu’un est suicidaire, le suicide complété s’il n’arrive pas toujours avec l’effet de surprise, le choc est toujours au rendez-vous. Ici, on constate bien que le choc de la mort soulève une espèce de déni de la situation, car le frère n’était pas à sa première tentative de suicide et qu’il avait reçu un diagnostic sombre qui laissait présager qu’il attenterait à nouveau à sa vie, il lui avait d’ailleurs révélé qu’il pensait toujours au suicide. Elle avouait même vivre dans la hantise de recevoir un appel de Montréal lui annonçant la mort de son frère. Mais tout cela n’enlève pas le traumatisme et l’effondrement quand cela finit par se produire. Tout comme le « pourquoi? » et autres questionnements. Ici, le leitmotiv est « où est mon frère? » On lui dit parfois « il est mieux où il est ». Mais où est cet endroit? Elle a besoin de savoir. Trouvera-t-elle une réponse qui lui permettra d’être apaisée?

Je désirais noter que le titre du livre est un clin d’œil aux Québécois, qui utilisent l’anglicisme « mes sympathies » au lieu de « mes condoléances ». Parce que les amis d’Alex et de Florence, la femme de celui-ci, ont été présents et importants dans les premiers jours suivant le décès de son frère, elle a entendu souvent l’expression « avec toutes mes sympathies. Expression qu’elle ne comprenait pas trop au départ, mais qui lui a fait du bien. 

C’est une histoire touchante, comme il en existe beaucoup, ce qui fait que de nombreuses personnes ayant vécu le suicide d’un proche se retrouveront. Ma seule réserve concerne une attitude culturelle envers la maladie mentale et les psy (chologues ou chiatres). Ça m’a beaucoup écorchée qu’elle utilise le terme “fou” pour désigner les gens qu’elle voyait dans les différents services de psychiatrie, en France et au Québec. Ce préjugé à la couenne dure en France. Bien sûr, comme il s’agissait de son frère, elle trouvait qu’il n’était pas à sa place parmi les “fous”. Ce qui arrive souvent quand on a un membre de la famille qui a besoin d’aide psychiatrique. Mais déjà, si on les considérait plutôt comme des gens atteints d’une maladie, comme c’était le cas pour son frère, ça change la perspective pour tout le monde. 

Bref, c’est un roman bien écrit, peut-être encore un peu trop à vif dans l’émotion (moins de recul ainsi), mais qui est criant d’impuissance et qui souligne que la douleur continue devient difficilement soutenable et qu’il est parfois difficile de traiter, sans trop d’effets secondaires, certaines affections.

Je vous le recommande.

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