Le consentement : L'autre version des faits rapportés dans les journaux d'un pédophile

Le Consentement, Vanessa Springora, Grasset

Voici enfin ma chronique sur le livre qui a tant fait jaser au début janvier. Il faut dire que les ventes ont été telles que la sortie au Québec en a été retardée d’un bon mois. 

Quelle lecture nécessaire! Oui, nécessaire, car il est primordial que les victimes puissent faire entendre leur voix et donner leur version de ce qui s’est passé. Alors que Gabriel Matzneff raconte sa version de ses crimes sexuels (parce que c’est bien de ça qu’il s’agit) depuis plus de 40 ans, voilà que Vanessa Springora, une des nombreuses adolescentes maintenant adultes avec lesquelles il a entretenu une relation, nous livre sa version des faits. D’une écriture maîtrisée au ton juste, l’autrice ajoute sa voix à celles qui déferlent depuis le début du mouvement #Metoo

Dans son récit, Vanessa Springora prend son lecteur et refait avec lui le chemin qui l’a mené dans les griffes de ce prédateur sexuel ayant pour préférence de jeunes filles et parfois des jeunes garçons. Le portrait qu’elle en fait est admirablement conforme à ceux de la majorité des prédateurs sexuels. Du tout début avant même qu’il ne se passe quoique ce soit. C’est Gabriel Matzneff, qu’elle a rencontré à un souper auquel elle assistait souvent avec sa mère qui travaillait pour un éditeur. Dès cette première rencontre, il lui porte de l’attention. Un peu flattée, elle a 14 ans et l’homme est un écrivain connu, elle est surtout curieuse d’en savoir plus à son sujet. À partir de cette soirée, elle présente irréprochablement le processus de chasse, puis d’isolement de sa proie une fois qu’elle est entre ses griffes. Car si elle résiste à lui répondre au départ, après une rencontre « fortuite » avec lui dans la rue, après être allée chez lui, elle finit par succomber. Ils amorcent alors une longue correspondance, puis une relation physique, sexuelle, et amoureuse. À l’époque, elle considérait qu’elle consentait à cette relation, mais avec le temps, elle s’est rendu compte qu’elle n’avait été qu’une proie qu’on avait séduite pour satisfaire les besoins de l’illustre auteur français.


Depuis la publication du bouquin, j’entends dire qu’il n’a pas été embêté par la justice. Pourtant, dans les faits, il y a eu des dénonciations anonymes qui n’ont rien donné, les policiers qui au départ ont du mal à prendre le tout au sérieux. Il a été rencontré à plusieurs reprises, mais son charme, l’ascendant de son statut d’écrivain ainsi que les cachettes et subterfuges auxquels Vanessa, sa mère et lui se sont livrés afin de leurrer la police et les témoins potentiels ont contribué au fait qu’il n’y ait pas d’accusation officielle portée contre lui.  


Vers l’âge de 15 ans, l’autrice a commencé à être mal dans cette relation. La lecture des romans qu’il lui avait interdit de lire, notamment Les moins de 16 ans, elle a commencé à conscientiser que celui qu’elle considérait comme son amoureux était en fait un prédateur qui se servait d’elle pour assouvir ses pulsions. Elle a fini par le quitter. Et c’est là que les répercussions de cette relation abusive se sont manifestées. Et de même qu’elle démontre clairement le processus de séduction auquel le pédophile s’est livré, elle témoigne avec acuité des conséquences, des ravages que ce type de relation génère. Parmi ces conséquences, il y a la perte de confiance envers les adultes, la difficulté de vivre une sexualité saine, celle de faire confiance aux amoureux et l’incapacité de ne pas se sentir autre chose qu’un objet de plaisir. Ainsi donc, alors qu’il prétend (ainsi que tous les signataires du texte qu’il a fait paraître dans les journaux à l’égard de la nécessité de libérer la sexualité des adolescents), libérer sainement leur sexualité, il en accomplit l’inverse pour une bonne partie de leur âge adulte. De nombreuses jeunes filles abusées souffrent d’un ou de plusieurs troubles; le rejet du corps, les troubles alimentaires, ceux du sommeil, les troubles scolaires, l’abus d’alcool ou d’autres drogues, les comportements autodestructeurs, la dépression, et j’en passe. Vanesa Springora a indéniablement l’impression que sa vie a été gâchée jeune. Elle se cherche tout le temps, de même qu’elle a eu du mal à avoir une sexualité et une vie amoureuse saines, même en tant qu’adulte.

Dans ses romans et journaux, ainsi qu’il l’a souvent dit à Vanessa Springora, G. M. se targue de laisser une image positive, car il dit savoir s’y prendre pour ne pas blesser les adolescentes lors de leur première expérience. Il se pose en initiateurattentionné, qui empêche les jeunes adolescentes de mal tourner; or en réalité, il en est toute autre chose. C’est une image de lui-même qu’il a construite pour justifier ces actes et les rendre « nobles ». Or, ils n’en ont absolument rien. Le fait que G. M. ait publié des livres dont leur relation fait l’objet contribue grandement à prolonge l’abus sexuel. Cela ajoute au trouble de Vanessa Springora. 

J’aime autant le dire, je n’ai pas cherché à lire les écrits de Gabriel Matzneff et je ne le ferai pas, pour ne pas ajouter à l’agression de ces adolescents maintenant adultes. Qu’ils soient bien écrits ou non, j’avoue que je m’en fiche éperdument. Je n’ai pas besoin de lire un homme qui se vante de charmer des jeunes et qui décrit leur relation malsaine. Je ne le cautionnerai pas en me procurant un de ses romans ou journaux intimes, et ainsi, je ne participerai pas à perpétuer l’exploitation dont les personnes qui ont été victime Vanessa Springora et les autres jeunes qu’il a eus pour proies. Je ne serai pas, contrairement à la société et l’entourage de G.M., complice de ces horreurs.


Quelques fois, notamment à la fin du bouquin, Vanessa Springora pose la question : est-ce que la littérature excuse tout? À mon avis, elle ne le devrait pas. Des textes faisant si grossièrement l’apologie de pédophilie ne devraient pas, à mon avis, être publiés. Et si certains des textes de Matzneff ont été des romans et qu’il peut se cacher derrière l’étiquette « fiction », ses journaux n’auraient pas dû être publiés et l’ayant été, l’auteur aurait dû être soumis à la justice et pas de la manière complaisante avec laquelle ont été menées les quelques plaintes anonymes à son égard. Il n’y aurait pas dû y avoir que Denise Bombardier qui s’oppose à ses écrits et surtout, à ses crimes, parce que c’est de cela qu’il s’agit.

Merci beaucoup, Madame Springora pour ce livre douloureusement nécessaire, sobre et criant à la fois.


Commentaires

Messages les plus consultés de ce blogue

Petite-Ville

48 indices sur la disparition de ma sœur

La psy / Never lie, Freida McFadden