Un excellent premier roman pour Paul Kawczak
Depuis le début du confinement, l’Association des libraires du Québec diffuse des capsules de prescription littéraire sous le nom de #LireEnCoeur. Plusieurs personnes nous ont suggéré Ténèbre de Paul Kawczak, dont Pénélope Mc Quade. D’emblée, j’ai voulu le lire.
Alors là, voici un roman que je n’ai vraiment pas eu de mal à lire ! Avec le déconfinement qui était amorcé et l’expérience des mois passés, j’ai retrouvé une certaine concentration. Disons que ça aide, mais c’est surtout la qualité du roman qui est en cause.
Le premier roman de Paul Kawczak — on ne sent pas du tout que c’est un premier roman, mais alors là, pas du tout ! — nous amène dans la République démocratique du Congo, anciennement connu sous le nom de Congo belge, puis Zaïre, à la fin du 19esiècle. Le géographe Pierre Claes y est envoyé par le roi Léopold II pour délimiter la frontière nord-ouest du pays. Alors qu’il cherche un assistant personnel pour mener à bien son expédition, on lui réfère Xi Xiao, homme à tout faire et également tatoueur, qui se trouve à être un ancien bourreau chinois, maître du lingchi, l’art la découpe humaine qui se pratique sur la personne toujours vivante, mais sous l’effet de l’opium. Il a quitté la Chine, où il découpait un mis à mort pendant des jours jusqu’à ce qu’il ne reste que l’essentiel qui le maintient en vie. Dans les corps taillés, il lit l’avenir. Et il sait d’ores et déjà que Pierre Claes et lui seront liés dans la mort.
Dès le début de l’aventure, les hommes se lient, Xi Xiao ressent un profond amour pour Pierre Claes, un amour puissant au point d’accepter de mettre fin à la vie de l’autre à sa demande. Ces notions d’amour et de désir sont omniprésentes dans tout le récit. C’est un désir fort qui guide plusieurs personnages vers un destin autre. Le désir de l’autre, le désir de liberté, le désir de vengeance, le désir de pouvoir, et j’en passe.
Et derrière l’histoire de la relation entre Claes et Xi Xiao, il y a l’Afrique et le colonialisme. Car, si ce n’est pas un roman sur les affres du colonialisme, celui-ci en est la toile de fond. On découvre dans toute son inhumanité : les vies africaines ne valent rien et sont soumises à l’esclavage pour assouvir les ambitions du roi Léopold II par l’entremise des hommes qu’il a chargés de missions. Des Africains sont attachés comme des bêtes ou tués en toute impunité (jusqu’à ce qu’un homme de Claes, Mpanzy, soit assassiné).
J’ai rapidement été happée par l’histoire et bercée, je dirais même envoûtée, par l’exquise écriture de l’auteur. On s’enfonce dans le luxuriant Congo et les voyages à bord de steamers pour se rendre d’un endroit à l’autre. On accompagne l’équipe hétéroclite sur les eaux de rivières du Congo.
Une myriade de personnages qui viennent soutenir la complexité des personnages centraux. Vanderdope, sur la trace de Claes depuis la France, Mpanzu, cet homme qui se dit de nulle part et de partout à la fois, un genre de citoyen du monde (ici un monde restreint puisque l’on est à une époque où l’on ne voyageait que très peu, et surtout pour coloniser). Un esprit ouvert et libre. En véritable prodige du métier à tisser, Kawczak tisse les liens entre les personnages et les périples et peu à peu, nous amène où il le souhaite de main de maître. On l’aurait suivi encore longtemps.
Oui, ce qui se passe n’est pas toujours agréable, mais ça ne vient pas plomber la lecture, car au-delà de tout ça, il y a des moments de légèreté, si je peux dire, il y a aussi les sentiments des personnages. La beauté de cette histoire d’amour hors du commun, un amour pur, il y a le désir qui est presque omniprésent. Sans compter l’éclat du personnage de Mpanzu, libre, ouvert à découvrir et adopter le plus beau de chaque culture qu’il rencontre.
Une lecture que j’ai beaucoup aimée pour la beauté de l’écriture, la galerie de personnages foisonnante (on y retrouve même Verlaine et Baudelaire) unit par des fils tissés serrés, pour les (més) aventures carrément prenantes, une structure qui permet un rythme juste.
Le roman est déjà paru en Europe et est finaliste au prix Première de la RTBF, en Belgique, et fait partie de la premières sélection au prix littéraire de Trouville, en France. Parions que ce ne seront pas les derniers prix pour lesquels il sera en lice. Il figurera sûrement parmi les nommés pour le Prix des Libraires du Québec.
C’est mon premier coup de cœur de 2020, il est donc clair comme de l’eau de roche que je vous recommande chaudement sa lecture.
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