Daddy issues

Un autre premier roman intéressant en cette rentrée littéraire. Bien que complètement différent que L’angoisse d’être à jeun, de Sara Robinson, ils ont des thématiques similaires. C’est l’histoire d’une jeune femme qui a une liaison avec un homme marié plus âgé qu’elle. Un cas classique de daddy issues, diraient certains.es. Une fois qu’on a dit ça, on a tout dit. Fin. Vraiment?

Tout d’abord, avant d’aller plus loin dans l’analyse du texte : Quelle expression fourre-tout que celle de daddy issues! Chaque fois qu’une femme a un comportement x ou y, c’est parce qu’elle a manqué de son père, ou qu’elle a eu une mauvaise relation avec lui, qu’elle cherche son amour à travers un homme plus âgé. C’est facile tout ça! Peut-on avoir une relation avec un homme qui est notre aîné sans que ça soit causé par une relation complexe avec son géniteur? Dit-on d’une personne qui a une relation amoureuse ou sexuelle avec une autre personne du même genre que c’est parce qu’iel a des mommy/daddy issues?


Cette opinion exprimée, revenons au roman! On est avec la narratrice alors qu’elle attend son amant. Pour passer le temps, elle lit les livres qu’il lui laisse à chaque rencontre. Ainsi, elle réfléchit aux vicissitudes de l’amour et du peuple québécois à travers la littérature et la philosophie. Cela donne des passages forts intéressants et laisse le lecteur songeur quant à ses propres conceptions. On la sent se débattre entre sa raison et ses sentiments. La narratrice évoque les notions de vrais amants vs faux amants, vrai amour vs faux amour, vérité vs mensonge. Je dois avouer qu’au premier abord, la tendance de tout concevoir en blanc ou tout en noir, m’a un peu dérangé. Toutefois, habilement, Elizabeth Lemay éclaire la toile dans laquelle se tient son personnage. Les contradictions sont partout! Une minute, elle feint d’être détachée, se dit libre, mais dans le même souffle, elle dit que son roi est son air. Elle sait que cette relation n’aura pas la suite qu’elle désire, mais elle ne peut s’empêcher de le souhaiter ardemment. C’est là le nœud du roman : elle essaie de convaincre son cœur de lâcher prise, d’embrasser le fait que cette relation restera toujours illicite ou n’existera tout simplement pas. L’expérience humaine est toujours plus complexe que l’on est prêt. e à se l’admettre. 

« Sans le vouloir, j’écris sur la capitulation transmise en héritage et sur le goût de certains pour les rêves infaisables. J’écris sur les hommes et les peuples qui se meurent d’attendre une révolte comme j’attends le roi — parce qu’ils ne savent pas quoi faire d’autre. »


Un élément fort agréable est que, comme son personnage lit durant l’attente de son amant, Elizabeth Lemay nous gâte avec de nombreuses références à des auteurs. trices et philosophes tels que Sagan, Camus, Barthes, Duras, Ernaux, Rousseau, pour ne nommer que ceux-là. Il y a un clin d’œil que j’ai particulièrement aimé à Prochain épisode d’Hubert Aquin, un ouvrage qui m’a accompagné au début de l’âge adulte.


Au final, le roman donne à réfléchir sur notre conception de l’amour, sur ce que signifie être libre en tant que personne, entant que peuple. Si l’on doit retenir une chose de cette lecture, c’est l’existence de l’espoir malgré la lucidité. L’espoir qui refuse de s’éteindre. L’espoir comme mécanisme de survie, car tant qu’il y a de la vie…


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