Réparer les pots cassés ?
Note : de temps en temps, je vous proposerai en fin de chronique une section « Pour aller plus loin » où je partage des réflexions qu’a suscité une lecture. Libre à vous de la lire ou non.
Yvan est un sexagénaire alcoolique qui vit dans un appart avec un chat qui n’a pas de nom et une coloc qui le répugne. N’arrivant pas à gérer les attentes sociales ainsi que ses responsabilités, il boit. Il a une fille avec qui il n’a plus de contact depuis 20 ans. C’est le schéma relationnel fréquent dans une situation d’alcoolisme. Il l’a déçue sans cesse à grands coups de promesses non tenues. Lorsqu’il apprend qu’il a une maladie qui met sa vie est en jeu, il considère renouer contact avec sa fille. À partir de ce moment-là, Sophie Bienvenu nous raconte deux versions de cette histoire, versions qui alternent d’un chapitre à l’autre.
Comme toujours, Sophie Bienvenu nous happe dans son histoire de son écriture sobre, mais puissante qui met en scène des personnages qui ont du corps. Des personnages qui sont en marge de la société. Des gens poqués tout le tour, comme je dis parfois. Mais si on va au-delà de la surface, on voit que tout n’est pas abîmé, qu’il y a encore plein de beau et de bon à l’intérieur. Que c’est un être humain, comme nous tous, avec ses forces et ses faiblesses. Dans le cas d’Yvan, entre autres, on pourrait le juger rapidement et dire que c’est un paresseux, mais qu’est-ce que la paresse si ce n’est qu’une motivation insuffisante pour passer à l’action, pour changer les choses. Un lâche ? Peut-être. Mais peut-être que c’est aussi un problème de motivation ou une difficulté à s’adapter aux attentes sociales ou à gérer l’anxiété qu’il vit. La beauté des romans de Sophie Bienvenu, c’est de nous donner l’opportunité d’outrepasser nos jugements et d’aller à la rencontre d’êtres humains complexes. Quoi qu’il en soit, malgré ses faiblesses, il est difficile de ne pas être sensible à ce que vit Yvan.
Ce roman-ci me semble plus doux… pas moins émouvant, mais il me semble qu’il y a quelque chose dans l’écriture de Sophie Bienvenu est davantage empreint d’empathie pour Yvan. Je ne saurais dire pourquoi j’ai cette impression, car l’autrice a toujours énormément d’empathie pour ses personnages. Je crois que c’est que, notamment, il y a une des deux versions qui me semble un petit peu trop lisse. Je n’en dirai pas plus pour ne pas trop divulgâcher. Ceci dit, c’est un choix intéressant de présenter deux histoires en parallèle, qui permettent de réellement conscientiser que chaque choix que l’on fait nous mène à une réalité ou à une autre.
Bref, un roman émouvant aux personnages attachants qui vivent des situations comme on en retrouve dans bien des familles.
Pour aller plus loin : réflexion personnelle sur la question du pardon
Qu’est-ce que veut dire « pardonner » ? Tout oublier et agir comme si on n’avait pas été blessé ? Pourquoi pardonner ? Presque tout le monde est d’accord pour dire qu’on pardonne pour nous. Pour ne pas se pourrir la vie par le ressentiment. Mais si on y pense bien, c’est aussi avoir assez d’empathie pour l’autre pour dire « Écoute, tu m’as lésé, blessé. J’imagine que tu as fait ça parce que tu ne savais pas faire autrement. Parce que peut-être que tu as des problèmes, des souffrances qui font en sorte que tu agis comme ça ».
Si l’on pardonne cela veut-il dire qu’on garde contact avec la personne ? Et si on ne pardonne pas, cela fait-il de nous quelqu’un de « moins bien », quelqu’un qui n’est pas suffisamment dans le lâcher-prise ? Je ne sais pas.
Ce que je sais, pour moi, c’est que l’injonction de pardonner me pose problème. C’est quand on (sans s’en rendre compte assurément) fait sentir quelqu’un coupable de ne vivre de la colère et du ressentiment envers l’individu ou le système qui lui ont fait du mal. Quand on lui dit qu’il FAUT pardonner, passer par-dessus. Passer à autre chose. Le pardon, c’est un processus plus ou moins long et, à mon avis, un réel pardon demande de cheminer (pas juste du temps, le temps seul ne fait rien, c’est ce qui se passe dans le temps qui fait le changement). Ce n’est pas simple. Ce n’est pas parfait non plus. Bien sûr, il est mieux de « pardonner » que de laisser la haine et la hargne nous ronger de l’intérieur. Mais c’est un processus compliqué qui varie en manière et en durée. Pis ça se peut que même quand on est convaincu que c’est réglé et tout pardonné, de la colère ou du ressentiment ressurgisse de nulle part. C’est correct. L’idéal, c’est de ne pas s’accrocher dessus. C’est ce qu’on vise. Ce qu’on se souhaite.
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