Stardust, de Leonora Miano

**  Roman qui figurait sur la liste préliminaire du Prix des Libraires du Québec, catégorie Roman - Hors Québec **

C’est un texte très personnel que Stardust. C’est le premier roman qu’a écrit Léonora Miano, il y a 20 ans. Elle a attendu pour publier. Attendu de voir comment ça allait, attendu pour le retravailler. Attendu de se faire un nom et de ne pas être qu’une « sans papiers, sans abris ». Maintenant que son statut d’écrivaine est confirmé, elle se permet de le faire publier. Et à la lecture, on comprend un peu. On est devant un roman audacieux !

Stardust est une autofiction basée sur son expérience alors qu’elle avait 23 ans. Elle y aborde la situation dans laquelle elle s’est retrouvée après une rupture avec son copain, père de son bébé. N’ayant pu renouveler son visa d’étudiante parce qu’elle ne pouvait pas fournir une preuve de résidence, elle s’est trouvée illégalement sur le territoire français. Cependant, comme sa fille était née en France, elle ne peut faire l’objet d’un processus d’expulsion. Les démarches pour régulariser son statut devraient être une formalité, sauf qu’elle a besoin d’une adresse. C’est ainsi qu’elle se retrouve dans un centre d’hébergement temporaire pour femmes sans abris. 

 

Louise lutte pour s’en sortir. Elle fait tout en son pouvoir pour ne pas « s’habituer » à ses présentes conditions de vie. Là-bas, Louise parle peu aux autres femmes. Elle estime qu’en tissant des liens, en partageant les histoires, sa situation finirait par lui sembler plus tolérable. Que si elle se crée un cercle d’amies qui sont aussi logées dans des centres d’hébergement et différentes ressources, elle considérerait ça comme « normal », que son désir d’étudier, de travailler, d’avoir un appartement, d’offrir une bonne vie à sa fille s’amenuise de plus en plus. Instinctivement, l’être humain cherche le chemin de la facilité. Elle craint donc de perdre la motivation de bosser fort pour ce qu’elle souhaite. Surtout, elle a peur de perdre son identité. S’isoler devient sa façon d’essayer de s’en sortir. Et pour solidifier cette volonté, elle écrit des lettres à sa grand-mère adorée. Ça lui permet de se transposer dans un tout autre milieu, où l’amour l’enveloppe.

 

Être recueillie dans un centre pour les femmes sans domicile fixe est éprouvant. C’est humiliant. Avec doigté et sensibilité, Miano ne raconte que les grandes lignes des désagréments. Le bruit, les crises, la violence, les odeurs, l’absence d’intimité. Elle préfère se concentrer sur ce que ça suscite en elle, ce qu’elle ressent. Sur les moyens qu’elle prend pour se protéger. Car c’est cela qui importe. Qu’on saisisse que derrière de bonnes intentions, au-delà des mesures d’aide, il y a aussi un côté déshumanisant, notamment dans le fait de se sentir comme un « cas social », ainsi qu’ils les appellent en France. Une personne faible, qui a failli et que l’on doit dépêtrer. 

 

Stardust est un roman sur la précarité, l’exclusion, mais également sur l’amour et la ténacité, la résilience. En introduction, je mentionnais que l’on comprend pourquoi l’autrice a choisi d’attendre avant de publier ces souvenirs. Il est parfois difficile d’entendre les critiques envers le pays d’accueil. C’est courageux, c’est audacieux. 

 

« On s’est démené pour que les Sub-sahariens rêvent de France. On leur reproche d’avoir trop obéi ». P.69

 

Ce que ça permet de voir, c’est que les valeurs sont différentes et certaines nations qui sont dits « en développement » possèdent des richesses culturelles qui sont aussi importantes, sinon plus que l’industrialisation d’une région. Que le fait de prendre soin de son voisin est également essentiel. 

 

Léonora Miano rend bien la honte et le sentiment d’impuissance vécu par Louise. La sensation d’être une indésirable, une pestiférée. Pour Louise, ils se manifestent par la colère. Parce que ce sont la honte et l’impuissance qui font que Louise réagit comme si la France lui devait de l’aide, une aide meilleure que ce qu’elle reçoit déjà. Malheureusement, aucune société n’a encore instauré des mesures sociales qui soutiendraient en tous points une personne en situation d’itinérance autrement que de leur offrir un hébergement et de les mettre en contact avec des organismes qui vont tenter de maximiser leurs chances de trouver un emploi et un lieu plus permanent où habiter. 

 

Cela étant dit, au-delà des mesures sociales d’un pays, ce qu’il doit faire ou pas pour protéger ceux qui vivent sur son territoire, ce qu’il faut surtout entendre, constater, assimiler, c’est les effets peu visibles de la colonisation qui sont vastes et variés. Et c’est ce qui est très important, à mon avis. Car, ce que j’en retiens, au-delà de la résilience, de la critique sociale sur les mesures pour les gens en situation de précarité, c’est le commentaire sur le complexe de supériorité, la tromperie, l’hypocrisie des anciens pays colonisateurs. Sous un extérieur calme et contrôlé, avec une grande éloquence, chaque mot de Louise crie ses sentiments de trahison et d’abandon. Elle se sent flouée par la France. Elle est en prise à une sérieuse désillusion, constatant que ce qu’on a dit aux peuples colonisés, ce qu’on leur a vendu n’est pas aussi beau qu’ils veulent le faire croire. 

 

 « Je déteste qu’ils nous aient menti. Qu’ils se soient présentés à nous comme s’ils étaient meilleurs. Je déteste qu’ils nous donnent des leçons. Dans ce pays, tout le monde n’est pas raffiné. Tout le monde n’est pas lettré. Tout le monde ne parle pas français. Tout le monde n’est pas libre et égal. Tout le monde n’est pas considéré comme un frère.  

Je déteste que nous ayons été faibles. Que nous nous soyons laissé subjuguer au point de ne plus croire en nous. Ils ne sont pas assez grands pour qu’on leur ait fait cadeau d’un morceau de notre âme. Ils ne savent même pas ce qu’ils nous ont pris.  

Vivre ici m’enseigne chaque jour ce qu’est le sous-développement. Atrophie de la matière grise. Ignorance. Je pense à mes camarades de faculté, aux questions stupides qu’ils me posaient. Pourquoi je parlais si bien leur langue. Parce qu’ils s’en croyaient les propriétaires, après que leurs ancêtres l’avaient répandue dans nos pays à coup de trique. Comment j’étais arrivée là. Comme si j’avais pu faire le voyage à la nage. » P. 79

  

De sa plume maîtrisée, poétique, tout en rythme, Léonora Miano livre un témoignage nécessaire pour tirer des leçons des effets de la soif de pouvoir et des quêtes d’ego des nations, et donc des hommes. À lire pour comprendre et ne pas répéter l’histoire.


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