Triste tigre, de Neige Sinno

C’est sûr que l’ancienne sexologue que je suis allait lire ce bouquin! 

Premièrement : ce début ! J’ai trouvé ça fort intéressant qu’elle commence par le portrait de son agresseur (son beau-père, alors qu’elle se questionne sur ce qui s’est passé dans sa tête. C’est un aspect que l’on voit rarement dans les témoignages. En fait, ce n’est pas pour comprendre d’un point de vue empathique, mais factuel, ce qui fait en sorte qu’une personne devienne un pédophile incestueux.

 

Afin de tenter de comprendre ce qui lui est arrivé, elle a cherché des réponses dans la littérature et partage ce qu’elle en a retenu. Tout au long du livre, elle étaye ses propos de citations d’auteurs, de philosophes. C’est un témoignage qui tend un peu vers l’essai, car elle a lu beaucoup sur sujet et exprime son opinion sur la problématique à la lumière de ses lectures et de son expérience. Elle fait d’ailleurs une brillante analyse de Lolita de Nabokov tout en traçant des liens avec son vécu. Aussi, elle s’attaque sans merci à un grand nombre de préjugés existants autour de l’inceste et souligne des erreurs à ne pas faire lorsqu’on s’adresse à une personne qui a été victime d’agression sexuelle intrafamiliale. 

 

Je ne suis pas nécessairement d’accord avec tout ce qu’elle avance, bien sûr on n’est jamais à 100 % d’accord avec quelqu’un. Cependant, elle a une grande lucidité quant à ses biais de pensée. J’ai trouvé ça rafraîchissant. Je n’ai toutefois pas pu m’empêcher de me dire qu’elle irait encore mieux avec de la thérapie. Pas dans une optique de jugement, comprenez-moi bien. Consulte qui veut. Par contre, pour avoir travaillé avec des victimes d’agression sexuelle, j’ai vu à quel point ça pouvait alléger certaines choses. Et c’est ce que je souhaite à toutes. 

 

 

En ce qui a trait à la structure du livre, j’ai trouvé l’ordre des thèmes abordés plutôt aléatoire. Ce n’est pas quelque chose de dramatique, mais j’ai eu le sentiment qu’il n’était peut-être pas optimal. J’avais comme l’impression que c’était écrit selon le « feeling » de l’autrice. 

 

Je salue le fait qu’elle ait choisi de ne pas y aller de descriptions scabreuses et d’avoir mis point de mire non pas les actes eux-mêmes, mais ce qui les amène, ces actes, et leurs conséquences sur la personne agressée et sur sa famille. 

 

Un livre d’une grande honnêteté, qui suscite de nombreuses et profondes réflexions, tout en étant troublant.


Triste tigre a notamment remporté le Prix Le Monde et est en lice pour le prix Femina, Médicis et Goncourt 2023.

Commentaires

Messages les plus consultés de ce blogue

Qimmik

Désir noir : histoire d’un féminicide

Mémoires d'un expert psychiatre