Du même sang

Être femme, épouse et mère, est-ce mener une vie de renoncements ? Qu’est-ce qui définit la filiation ? Les liens de sang ? Les sentiments d’affection ? Les soins apportés à un enfant ? Notre enfance, nos traumas, nos conditions personnelles et sociales déterminent-ils qui nous sommes ? Ce que nous pouvons faire ? 

 

La saga intergénérationnelle de Denene Millner embrasse une énorme quantité de sujets. Se déroulant de 1964 à 2005 et comptant 600 et quelques pages, Du même sang raconte l’histoire de trois femmes afro-américaines et leur lien, dans l’Amérique post-déségrégation. Il y a Grace, une petite-fille qui vit avec sa mère, plutôt absente, et sa grand-mère dans le Sud où les choses ont très peu changées depuis les années sombres de la ségrégation. La matriarche, accoucheuse, adore Grace et souhaite lui apprendre à aider les femmes à donner naissance. 

 

Il y a Delores, Lolo, mère adoptive d’un garçon et d’une fille. Avec derrière elle un passé traumatique, elle essaiera d’élever ses enfants, particulièrement sa fille Rae, du mieux qu’elle peut. Maladroite dans ses efforts pour la protéger, elle est fermée, souvent violente, intransigeante et créera chez Rae de nombreuses blessures avec lesquelles celle-ci, étant le troisième personnage que l’on suivra, tentera de naviguer dans sa vie de femme, d’épouse, de mère. 

 

On nous y entretient de la maternité. Du fait d’être mère (volontairement ou non). De transmettre des valeurs. De la force de combattre les conditions sociales pour mener la vie que l’on entend. Et de sororité.  

 

En outre, comme les personnages sont afro-américaines, on ne peut extraire leur vécu du contexte social. L’esclavage et le racisme qui en a découlé laissent toujours des marques. On se doute bien qu’il ne suffit pas d’instituer la déségrégation pour faire en sorte que l’égalité soit instantanément réelle dans les faits. Cependant, l’écriture de Millner nous met en pleine face l’état de cette situation désolante. À travers les trajectoires de ces femmes en quête de liberté, l’autrice assemble, à la manière dont elle le ferait pour une courtepointe confectionnée à même des pièces d’anciens vêtements (comme on les faisait dans le temps), les éléments qui composent un portrait ma foi assez complet du vécu des Afro-Américaines. C’est avec méthode, justesse et empathie qu’elle coud ensemble la pauvreté, la violence conjugale, l’infidélité, les agressions sexuelles, les inégalités issues du sexisme et du racisme pour dresser un tableau saisissant qui ne peut que nous toucher et nous questionner.

 

 

Par l’entremise de Grace, Lolo et Rae, le roman nous raconte l’histoire de toutes les femmes. C’est ce qui rend le tout d’autant plus puissant. Deux des portraits ont retenu davantage mon attention. Celui de Grace et celle de Lolo. Dans le premier cas, ce qui m’a ému, c’est la naïveté et l’espoir de l’enfant et de la grand-mère pour sa vie future. Dans celle de Lolo, on constate à quel point les traumas influent sur nos comportements, sur notre existence. On ne vit pas les choses de la même façon, c’est l’évidence. Toutefois, comme parent, on n’a pas une perception identique à celle de son enfant d’une situation ou d’un geste. Se le rappeler permet une plus grande empathie et, on le souhaite, davantage de bienveillance.

 

Le bouquin fait 600 et quelques pages, donc, mais on ne le sent pas. L’écriture coule, tel le sang dans nos veines (je sais, c’est pas fort comme métaphore). Millner s’est appuyée de ses questionnements en tant que personne adoptée, pour point de départ de cette ode à la force de ces femmes qui tentent de s’en sortir le mieux possible, malgré tous les obstacles à leur épanouissement.

 

Une lecture émouvante qui, bien qu’il y ait des particularités de la vie des femmes noires aux États-Unis, mais il y a tant d’aspects qui, malheureusement, rejoignent toutes les femmes. 

 

Merci à Interforum Canada et Le ChercheMidi

 


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