Jacaranda

Dans ce deuxième roman, Gaël Faye nous présente sur 30 ans et quatre générations, les diverses conséquences du génocide. On y rencontre Milan qui, en 1994, a 12 ans. Il habite en France avec sa mère née au Rwanda, pays qu’elle a quitté en 1973, et son père français. Son premier réel contact avec le Rwanda, c’est à travers les fragments des infos qui rendent compte du génocide des Tutsis qu’il voit à la télé avant que sa mère change de chaîne. Elle a toujours refusé de parler de sa vie avant la France, de sa famille, et ce n’est pas aujourd’hui qu’elle va commencer. 

 

Quelques mois plus tard, ils accueillent Claude, un gamin rwandais du même âge, sérieusement blessé à la tête. Milan l’accepte comme son petit frère et promet de prendre soin de lui. Mais après un voyage dans la famille en Belgique, sa mère revient sans Claude, sans explications. À ce moment, cette impossibilité de discuter avec sa mère, le silence que celle-ci garde au sujet de sa vie au Rwanda, de sa famille torture Milan. Il sent une retenue de sa part qui entame sa relation avec elle. Il perçoit ce silence comme un obstacle entre elle et lui. Cependant, en refusant de lui transmettre l’horreur de ce qui se passe, de lui parler de la famille là-bas pour le protéger, sa mère lui transmet l’insécurité, la peur, l’impression de ne pas avoir de lien profond.

 

« Chez nous, on ne raconte pas l’histoire de la famille. Résultat, on ne sait rien, et les vies s’éteignent avec ceux qui les portent. On dit que les paroles s’envolent et que les écrits restent, mais que faire quand il n’y a ni parole ni écrit ? »

 

Pendant 30 ans, Milan se rend au Rwanda d’abord avec sa mère, ensuite seul. Là-bas, il rencontre des gens qui l’aideront à comprendre le silence de sa mère. Si la mère de Milan se tait, il y a Eusébie, la mère d’une amie, qui, elle, se raconte. Et au fur et à mesure des histoires, au fil des années, peut-être Milan pourra-t-il mieux comprendre sa mère, mieux comprendre ce qui a contribué à le forger. 

 

D’entrée de jeu, je voudrais préciser que je n’ai pas lu Petit Pays (ben ouais, non), je ne peux donc pas comparer les deux œuvres. Dans l’ensemble, j’ai bien aimé le roman, même si j’ai trouvé que certaines parties du texte faisaient un peu plaqué, qui étaient moins harmonieuses avec le reste. Hormis cela, Faye possède une plume sensible et émouvante. D’une part, j’éprouvais la déchirure et la douleur vécues par Milan devant cette mère qui refuse de répondre à ses questions, qui se terre derrière un mur infranchissable. D’autre part, je ressentais aussi la souffrance des rwandais.es et cette nécessité de taire les traumas. Pour ne pas transmettre l’horreur, pour continuer d’aller de l’avant. 

  

« Dans les cocktails ou les diners en ville, devant des interlocuteurs ignorants, ils devraient expliquer les raisons du génocide, la différence entre Hutu et Tutsi, les conflits dans le Sud et le Nord-Kivu. Ils ne pourraient jamais être impunément eux-mêmes, le pays serait toujours là pour se rappeler à eux comme un chaperon assidu. Ils en seraient les garants et les protecteurs, porte-parole assignés. La bataille serait rude et rien n’était gagné. Ils le savaient, c’était l’éducation qu’ils avaient reçue. Tout ce dont ils bénéficiaient aujourd’hui était le fruit de sacrifices et de sang versé. La Nation le leur répétait chaque jour. Alors, une autre nuit de fête et d’alcool leur permettait d’oublier quelques instants cette charge, tout comme la génération d’avant buvait pour oublier les années d’exil, les humiliations, l’odeur de la mort et des charniers. »

 

Au fil de la lecture, à travers une galerie de personnages touchants, on constate que 30 ans après le génocide des Tutsis, les plaies sont toujours là, à peine cicatrisées. 

 

Faye explore les dynamiques des traumatismes, des secrets, des liens. Les traumatismes vécus qui portent à se taire sur le passé, le balayer, pour dissiper les horreurs qu’il renferme. Pour tenter de vivre comme si elles n’avaient pas existé. Mais si on se tait, comment peut-on transmettre nos savoirs, nos valeurs, nos racines ? Comment peut-on éviter de se retrouver dans de mêmes situations dans le futur ? Comment trouver la paix comme citoyens d’un pays déchiré ? Comment trouver la paix comme individu ? Comment fait-on pour côtoyer chaque jour d’anciens bourreaux ? Comment peuvent-ils vivre ensemble ? Est-il possible qu’une prochaine génération puisse exister avec un sentiment de paix, de confiance ? L’auteur nous propose un tableau de gens qui tentent de mener leur existence, mais ne peut répondre à toutes ces interrogations. Comment le ferait-il ? Qui pourrait répondre à cette question, si profonde, si vaste, si difficile, qui est un des plus importants questionnements de l’humanité que ce soit à l’échelle mondiale, nationale et, surtout, individuelle ?

 

As-tu envie de lire Jacaranda ? As-tu lu Petit Pays ?

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