Les deux visages du monde
«Après quelques années passées à Atlanta, Toya Gardner, une jeune artiste afro-américaine, revient dans la petite ville des montagnes de Caroline du Nord d'où sa famille est originaire. Déterminée à dénoncer l'histoire esclavagiste de la région, elle ne tarde pas à s'y livrer à quelques actions d'éclat, provoquant de violentes tensions dans la communauté. Au même moment, Ernie, un policier du comté, arrête un mystérieux voyageur qui se révèle être un suprémaciste blanc. Celui-ci a en sa possession un carnet dans lequel figurent les noms de notables de la région. Bien décidé à creuser l'affaire, Ernie se heurte à sa hiérarchie. Quelques semaines plus tard, deux crimes viennent endeuiller la région. Chacun va alors devoir faire face à des secrets enfouis depuis trop longtemps, à des mensonges entretenus parfois depuis plusieurs générations.»
Le roman de David Joy attire l’attention que le racisme peut être évident et frontal, mais il peut également être très subtil. Au XXe siècle, les États-Unis appliquaient la ségrégation entre les blancs et les noirs. Le Ku Klux Klan battait, brûlait et pendant les noirs. En 2024, l’organisation agit de manière plus discrète, influençant les politiques et sans techniques d’éclat, comme dans le Sud.
Les deux visages du monde, c’est l’opposition des deux « clans » dans la société, dans cette ville, ainsi qu’au sein des forces de l’ordre. C’est la division même au sein du KKK. Et c’est aussi les deux mondes, ville et campagne… Bref, ça s’applique à beaucoup de choses !
Sois avertie qu’on est devant un slow burn. L’auteur prend bien le temps de poser le décor et toutes les subtilités de l’ambiance avant que les meurtres se passent. De même, de manière générale, il rend bien les dilemmes, les indécisions des protagonistes. Cependant, les dialogues ne sont pas toujours clairs. Est-ce que Joy a voulu démontrer que les personnages ont de la difficulté à s’exprimer ? Je n’étais pas certaine.
Au fur et à mesure que ma lecture avançait, je me suis demandé ce qui avait poussé David Joy à écrire sur ce sujet. Pour faire prendre conscience aux Caucasiens ? En tout cas, son roman établit clairement que les blancs ne voient pas le deuxième visage du monde parce qu’ils ne sont pas obligés. Parce qu’ils ont le privilège de croire que les soldats confédérés ne sont qu’un exemple social positif. Ils peuvent ignorer qu’ils ont maintenu l’esclavage et la ségrégation. Certains peuvent même penser qu’il n’y a pas de problème à continuer à nommer des lieux N***er Hill et N***er Town, car ça fait des décennies qu’ils portent ces noms. ILs peuvent ignorer toutes les micro-agressions qui s’accumulent et minent ceux qui les subissent jour après jour. Ils peuvent ne pas être conscients que certains gestes, considérés par certains pour du patriotisme, peuvent cacher du racisme.
À titre très personnel, j’ai apprécié que l’on parle d’art. Encore plus de céramique, activité qu’avec la peinture, j’adore pratiquer. Il y a d’intéressante réflexion sur l’art social. Comme on dit, une image vaut mille mots, et l’art visuel est une bonne façon, généralement non violente, de passer un message.
« À la place, ce que j’ai fait, c’était obliger les gens qui avaient besoin d’être confrontés à cette idée à engager le dialogue avec l’œuvre. Je ne leur ai pas laissé le choix. Il leur fallait s’y confronter quand bien même elle les rendait mal à l’aise. Je suppose que ce que j’essaie de dire, ce à quoi j’essaie d’en venir, c’est que ce qui dure, c’est l’impact. L’impact que l’œuvre produit sur le monde, c’est plus important que l’œuvre elle-même. C’est plus important que la durée de l’œuvre à n’importe quel sens physique. C’est l’art comme instrument de transformation sociale. »
Si le bouquin a moins de punch que du S.A. Cosby, du Greg Isles ou du Colson Whitehead, il est différent de la majorité des romans qui parlent du même sujet en ce sens qu’il n’y a pas, ou à peine, de langage raciste. Ils focalisent très peu sur les membres du KKK. C’est presque tout sous-entendu, sauf pour présenter le plus brièvement possible les choses. Et on ressent et perçoit les ambiances et les émotions avec netteté.
Merci à Interforum Canada et aux Éditions Sonatine!
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