Vernon Subutex : Un portrait brutal d'une génération et d'un pays

Obligé de fermer son magasin à cause de l’avènement du numérique dans l’industrie musicale, Vernon Subutex a su survivre pendant un bout de temps. Mais comme la situation du travail en France est difficile, il n’a plus un rond. Ayant un sérieux retard sur son loyer, il est évincé de son logement et les quelques biens qu’il n’avait pas liquidés pour survivre sont saisis jusqu’à ce qu’il paie une caution pour les récupérer.

Ainsi mis à la rue, il doit trouver où se loger. Trop honteux pour raconter la vraie raison de son malheur, il invente une histoire d’amour qui l’a amené à vivre au Québec depuis quelques années. Il ne serait de passage en France que quelque temps, question de régler des soucis administratifs. Une fois son boniment trouvé, il sillonne sa page Facebook pour dénicher un ami susceptible de lui offrir de dormir chez lui.

Il reprendra peu à peu contact avec le petit monde qui gravitait autour de lui à l’époque où il tenait son magasin de disque Revolver. Certains de ceux-ci avaient même formé un groupe de musique ensemble. À cette époque, leur existence tournait autour du sexe, de la drogue et du rock and roll. Durant les derniers mois, quelques-uns d’entre eux sont morts dans différentes circonstances, le dernier étant Alex Bleach, le seul du groupe à avoir connu du succès sur la scène musicale. Les survivants sont aujourd’hui tous quadragénaires ou quinquagénaires. De tous, Vernon affecte la chute la plus impressionnante, mais les autres sont également dans un état psychologique plutôt pitoyable.

Ainsi donc, Vernon ira d’ami en ami, nous promenant de classe sociale en classe sociale, ce qui permettra à l’auteure de dresser un portrait de l’état de la France actuelle. Elle touchera ainsi une multitude de sujets dont les relations entre et femme, l’homosexualité, la transsexualité, le racisme, les roms, le chômage, les affaires, la violence conjugale, le milieu culturel, la politique, la sexualité, l’image corporelle, les SDF, la toxicomanie, le suicide, et j’en passe! On constate à quel point la France est en crise, à quel point elle est déchirée, épuisée, désillusionnée, blessée et désespérée!

Vous l’avez compris, c’est un roman touffu. Mais on ne s’y perd pas l’instant d’une seconde, même s’il y a une pléthore de personnages dont chacun possède une voix singulière. Chacun d’entre eux porte une lassitude, une détresse, un vide qu’ils tentent de fuir. La désillusion les frappe, mais ils refusent de le reconnaître et ils continuent de courir après leur queue. S’ils arrêtaient, que feraient-ils d’autre? Que fait-on lorsque l’on constate, passé le mi-temps de la vie, que l’on a erré et que ce que l’on fait ne rime à rien? Comment trouver la force de continuer, de se réinventer une vie satisfaisante sur de nouvelles bases? Et comment procède-t-on? Peut-être que c’est pour ça qu’Alex est mort? Reste que l’on se demande si l’auteure voulait nous dire que quand on vieillit, on devient malheureux, cynique et aigri. Que nos démons sont toujours là, à nous guetter dans l’ombre, jamais bien loin

Avant sa mort, celui-ci a d’ailleurs enregistré un auto-entretien qu’il a remis à Vernon Subutex. Vernon en a glissé un mot à un ami réalisateur après sa mort, sans se douter que ce sera l’amorce d’une véritable chasse à l’homme dans la ville pour le retrouver et mettre la main sur ces fameux enregistrements.

La première partie de cette fresque en trois tableaux est un roman intellectuellement, psychologiquement, sociologiquement brillant! L’écriture de Virginie Despentes a un souffle, un rythme époustouflant! C’est incroyable! Les énumérations sans virgules en sont en partie responsables, ne donnant pas de répit au lecteur, le précipitant dans la frénésie des personnages.

J’avais eu un coup de cœur pour « Baise-moi », le roman et le film, à la fin des années » 90. Mon béguin d’auteur pour Virginie Despentes se confirme encore 20 ans plus tard. Une lecture absolument jouissive! À couper le souffle! Je compte les jours jusqu’à ce que le deuxième tome arrive dans ma boîte aux lettres!

P.S. Avertissement, pour ceux qui ne le savent pas déjà, pour les Français, le rock est une catégorie très large, ne vous en offusquez pas. ;-)
  
Yannick Ollassa / La Bouquineuse boulimique

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