Jeudi jeunesse : L'enfant mascara
Le 12 février 2008, Leticia Queen, vivant auparavant sous le nom de Larry King, a été abattu à bout portant par un collègue de classe, Brandon McInerney. Simon Boulerice s’est inspiré de cette histoire vraie pour rendre hommage à cet être, ainsi que, on l’imagine également, de dénoncer les meurtres homophobes et dans ce cas-ci possiblement transphobes.
Dès le départ, on est au courant de la fin tragique que connaîtra Larry aux mains de Brandon. On sait quel a été l’élément déclencheur : Larry a demandé à Brandon d’être son valentin devant tout le monde. Mais comment en arrive à tuer quelqu’un pour cette raison? Que s’est-il passé pour qu’ils en arrivent là? Voilà ce que Simon Boulerice s’est donné le mandat de recréer, de s’imaginer à partir de certains faits. Il nous propose donc une histoire qui se décline sous la forme d’une lettre ou d’un monologue de Larry/Leticia à Brandon. Intercalé dans ce long soliloque, on retrouve des poèmes écrits par le protagoniste et des témoignages de personnes de l’entourage des jeunes concernant l’assassinat de Larry/Leticia.
Larry est follement amoureux de Brandon McInerney qui, bien qu’il lui adresse la parole de manière qui paraît parfois tout à fait dénuée de malice, se révèle en fait être un de ses bourreaux. En dépit de cela, l’amour que Larry lui voue est inaltérable.
Il a volé une vieille trousse de maquillage à sa mère. À l’intérieur se trouve du mascara. Il se met du mascara pour amplifier ses cils, pour qu’on remarque ses yeux. C’est ainsi qu’il commence sa transformation en Leticia. À partir de ce moment, on sent davantage la vie et la joie prendre place en elle. De même, on la sent heureuse d’être plus près de sa réelle identité. On le voit éclore.
Déterminée à conquérir Brandon et convaincue qu’il apprécie ses démonstrations, que ce n’est qu’une question de temps avant qu’il n’accepte ses sentiments, Larry/Leticia persiste à lui manifester toutes sortes d'attentions.
Cette tragédie n’est pas simple, d’autant plus qu’elle implique des adolescents. Des êtres qui durant les années clés de leur développement affectif et identitaire ont été maltraité et carencés affectivement. Il aurait été facile de dépeindre Brandon sous les traits d’un bourreau impitoyable. De le salir et de tomber dans le piège de la haine. Mais voilà, ce ne serait que voir qu’un côté de la médaille. Qu’un aspect du personnage qui, rappelons-le, est un jeune adolescent. Et Simon Boulerice est trop intelligent, trop sensible pour porter des jugements à l’emporte-pièce. Il aime ses personnages et, probablement les êtres humains, inconditionnellement. Ainsi, il nous offre un Brandon humain, complexe. Un jeune garçon, lui aussi maltraité par ses parents, qui se sentait harcelé par les manifestations de Larry/Leticia. Qui n’a appris que la violence et qui a réagi avec haine et violence. L’auteur ne l’excuse pas. D’aucune façon. Il évite simplement de tomber dans le jugement. Il présente l’histoire qui a mené au meurtre de Leticia.
Simon Boulerice est un des auteurs phares de la jeunesse différente. De la jeunesse tout court. Il en dessine les zones d’ombre tout comme celles faites de lumière, avec respect, avec joie, avec fantaisie et avant tout, avec amour.
Un roman qui ébranle, mais qui est une de ces lectures nécessaires. Pour adolescents ET adultes.
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