Arpenter la nuit, de Leila Mottley

En septembre dernier, j’ai lu Arpenter la nuit, de Leila Mottley. Ce premier roman de l’auteure a été écrit alors qu’elle avait 17 ans. Il a été en lice pour le Man Booker Prize 2022. Il est inspiré d’un fait divers de 2015.  

Depuis l’emprisonnement de leur mère, Kiara (Kia), 17 ans, et son frère aîné Marcus vivent seuls dans un appartement d’Oakland. Kia a quitté l’école pour travailler afin de payer le loyer et la nourriture. Malgré plusieurs petits boulots, elle n’y arrive pas et les deux sont frappés d’un avis d’éviction. Marcus passe le plus le plus clair de son temps dans un studio d’enregistrement qui se trouve dans le sous-sol d’un ami, tant il est obsédé par son rêve de devenir riche en faisant du rap et donc subvenir à leurs besoins de manière plus durable. Il se dévoue à cette voie et refuse de se prendre un emploi qui leur permettrait de subsister à courte échéance. 

 

Dans la vie, on ne peut faire qu’avec ce que l’on a et quand on n’a rien, ou presque, on fait ce que l’on peut. Ainsi, après avoir rencontré un homme dans un bar qui l’a payée pour une relation sexuelle, Kia se résout à utiliser la seule chose qu’elle peut monnayer, son corps. Chaque soir, elle arpente les rues et affronte les dangers qui viennent avec le travail du sexe. Ça demeure dans le domaine du tolérable jusqu’à ce qu’elle soit coincée par des policiers corrompus qui lui feront du chantage et la maltraiteront à plusieurs reprises. 

  

Leila Mottley signe un roman coup de poing d’une grande maturité. Elle a un sens aigu de la psychologie humaine, des déchirements et des incohérences qui peuvent parfois nous habiter. Ses personnages sont complexes, tout en aspérités, beaux. Chacun d’entre eux est circonscrit et vivant. Cependant, le détachement et la capacité de Kia à minimiser l’impact de ce qu’elle traverse pourraient déranger certains lecteurs. Mais ils ne sont pas nécessairement invraisemblables. Ils pourraient faire partie d’un mécanisme de défense où l’individu rationalise et se coupe de ce qu’il ressent afin de ne pas s’écrouler. Le fait que Kia soit jeune peut aussi renforcer cette tendance, parce qu’elle pourrait ne pas réaliser l’ampleur de ce qu’elle vit. 

 

Le roman n’est pas sans écueils, cela dit. Il y a bien quelques longueurs, mais rien de dramatique, à mon sens. 

 

Bien que tout le propos du livre est sombre, il y a plusieurs étincelles de lumière dans cette histoire, notamment sa relation avec Trevor. La bienveillance et la sollicitude dont elle fait preuve à son égard, quoiqu’elle soit dans une situation difficile, tout comme la dynamique entre les deux sont comme une île au milieu d’un océan et lui permettent de souffler.  

 

Mottley nous immerge dans la pauvreté, la violence, le travail du sexe, le désespoir. Elle nous démontre que le courage et le soutien et les liens affectifs peuvent aider à ne pas sombrer même quand l’environnement dans lequel on évolue nous fait obstacle. C’est un texte puissant et remarquable de complexité pour une auteure d’un si jeune âge, qu’est-ce que cela sera dans quelques années ! 


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