Comment faire l'amour avec un n***e sans se fatiguer

Ça fait 40 ans que le premier roman de Dany Laferrière est paru et pour souligner l'événement, VLB Éditeur en publie une nouvelle édition!

Résumé de l'éditeur : 

« Pas croyable, ça fait la cinquième fois que Bouba met ce disque de Charlie Parker. C'est un fou de jazz, ce type, et c'est sa semaine Parker. »


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Je vais être honnête, quand j’ai commencé ma lecture, je me suis demandé dans quoi je m’étais embarquée en sollicitant ce service de presse. On ne se le cachera pas, c’est un roman d’un autre temps et non seulement par le titre, il date. Qu’à cela ne tienne, j’ai continué à lire, en me disant que ce serait un bel exercice de voir comment les choses étaient à cette période, comment on a évolué (ou pas) ! Bref, que ce serait une bonne occasion de travailler mes aptitudes d’analyse critique. 

 

Publié en 1985, Comment faire l’amour avec un Nègre sans se fatiguer avait aussi suscité des réactions polarisées lors de sa parution. En 2025, la relecture de cet ouvrage oblige à se poser des questions essentielles : peut-on juger un texte en dehors de son époque ? Comment ce roman a-t-il vieilli dans un contexte où les dynamiques sociales, culturelles et politiques ont profondément évolué ?

 

Les auteurs la plupart du temps témoignent de leur époque. Dès le titre provocateur, Laferrière semble vouloir choquer, bousculer les normes et forcer la réflexion. L’histoire est un portrait brut d’un Montréal des années 1980, un Montréal empreint d’une langueur et d’un désenchantement qui contrastent avec la ville trépidante et vibrante de 2025. Le protagoniste, à travers ses ruminations désabusées, expose des stéréotypes culturels, de genre et de classe sans chercher à les adoucir. Je dois dire qu’il est difficile de lire certains passages sans un certain malaise aujourd’hui, alors que nos sensibilités ont évolué.

 

C’est que le bouquin regorge de clichés, notamment sur la sexualité (un thème central du roman, présenté comme un outil de contrôle et de subversion), la race et les relations de classes et de pouvoir (on inverse la dynamique coloniale en « faisant l’amour » à des blanches anglos de bonne famille). C’est une critique acerbe de ces stéréotypes. Je ne peux toutefois pas passer sous silence que l’objectivation des femmes m’a troublé. Même si je sais que c’était l’intention de Laferrière. De nous bousculer. Il joue constamment sur la frontière entre satire et réalité (de l’époque, hein), entre dénonciation et provocation. La présence des sourates du Coran, à mon avis, elle participe peut-être à cette volonté de juxtaposer des éléments inattendus pour déranger le lecteur.

 

Au-delà de la provocation, le roman s’interroge sur l’identité, l’appartenance et la marginalisation. Le personnage principal cherche sa place dans une société qui le réduit à sa couleur de peau, tout comme l’auteur s’est vu, après la publication de ce roman, assigner le rôle de porte-parole des questions « noires ». Une ironie amère, mettant en évidence à quel point la société peut enfermer les individus dans des cases, même lorsqu’ils tentent de s’en libérer.

 

Aujourd’hui, Comment faire l’amour… peut heurter certaines sensibilités, et c’est légitime. Cependant, il est aussi un miroir d’une époque, une œuvre qui force la réflexion sur la manière dont les discours raciaux et sociaux ont évolué sur certains sujets, ou pas. Comme le souligne Laferrière lui-même : « On tue partout et on torture partout, et nous restons insensibles devant tant de violences, mais dès qu’il s’agit de sensibilité artistique ou de fierté personnelle, tout le monde grimpe sur le pont. » Une réflexion toujours pertinente, qui invite à ne pas fuir l’inconfort, mais à l’interroger.

 

Finalement, lire Comment faire l’amour avec un Nègre sans se fatiguer en 2025, c’est accepter de confronter ses propres perceptions. C’est un témoignage d’une autre époque, mais aussi un appel à la réflexion sur la manière dont les récits façonnent et reflètent nos sociétés. Le roman dérange, provoque, mais surtout, il questionne. Et c’est une de ses plus grandes forces.

 

À mon avis, on ne peut juger un ouvrage passé selon les valeurs du jour. On doit tenir compte du contexte dans lequel il a été écrit et de ce qu’il nous dit de l’époque. Il est également utile de s’en servir pour mesurer les avancées, leur niveau de progression et le trajet encore devant.   


Qu'est-ce que tu en penses?


Bon 40e anniversaire et merci à VLB Éditeur pour le service de presse!



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